Transformation fromagère
Fourme de Montbrison : crise, solidarité et relance

Le confinement et le changement des habitudes de consommation ont lourdement pénalisé, au-delà des producteurs, toutes les entreprises de transformation fromagère. Zoom sur la zone fourme.
Fourme de Montbrison : crise, solidarité et relance

« Sur la première semaine de confinement, les chutes ont été vertigineuses, presque 90 % », se souvient Hubert Dubien, président de l'appellation fourme de Montbrison. Passée la sidération des premiers jours, les consommateurs d'un côté et les professionnels de l'autre se sont réorganisés pour s'adapter à cette situation inédite. La fréquence des conseils d'administration de l'appellation est d'ailleurs passée de deux mois à une semaine pour répondre à l'urgence. Les entreprises de transformation ont dû s'adapter à l'image d'ELS (Entreprise laitière de Sauvain), transformateur de 5 millions de litres de lait issus d'une vingtaine d'exploitations avec 23 salariés.

 

Des solutions ont été trouvées pour la gestion du personnel : solde des RTT et des congés en année N. « On a fait un dossier de chômage partiel, on l'utilisera seulement si besoin », précise le dirigeant Eric Soubeyrand. Et de poursuivre son analyse. « On peut couper la crise en deux : les trois premières semaines, l'affolement et les chutes importantes et les suivantes, plus stables, même si les volumes sont encore trop faibles. » Mais l'adaptation à la crise a débuté plus en amont encore, sur les fermes. Les éleveurs ont été invités à limiter leur production. « Ça a fonctionné, ils ont réduit de 10 à 12 % leurs volumes. Leur réaction a été immédiate, mais la pousse de l'herbe lente facilite les choses », explique le président de l'AOP. Même constat pour le dirigeant d'ELS : « Mes producteurs ont écrêté leur pic de production, mais l'objectif n'est pas de détruire les troupeaux, ni de casser de la vache mais plutôt de modifier l'alimentation, de donner du lait aux veaux, etc. »

Changement de destination pour les laits

Bien sûr la filière s'est adaptée à l'évolution de la demande. « On a observé l'évolution de la consommation en Italie qui avait 15 jours d'avance sur nous. On a compris qu'il fallait se mettre au drive et au découpé-emballé, poursuit Hubert Dubien. Mais, clairement les produits chers, et les AOC notamment, souffrent en ce moment. Les consommateurs ont réduit leurs achats plaisirs.» Les entreprises se sont mises au diapason pour récupérer les méventes au rayon coupe, boudé par les clients de la grande distribution, en proposant des produits emballés. « Et les plus petites entreprises qui n'étaient pas équipées pour faire du découpé-emballé se sont faits prêter du matériel par les grosses », se félicite le président.

 

Malgré tous ces efforts, la filière a dû se résoudre à trouver des solutions pour valoriser les laits non transformables, faute de demande. Ainsi, les volumes de la fromagerie du Pont de la Pierre, propriété de Lactalis, sont partis sur le site d'Andrézieux-Bouthéon. Chez ELS, la marque Lait Monts du Forez UHT a été relancée avec le soutien de Casino. Les producteurs fermiers ont eux aussi trouvé des solutions pour la reprise de leur lait avec les entreprises locales. Expression de cette solidarité au sein de la filière, ELS par exemple a récupéré temporairement un producteur sous contrat avec un artisan concurrent. « Si on n'avait pas casé ces laits... », imagine Hubert Dubien pour faire comprendre que le pire a été évité....

 

Pour assurer le coup, les dirigeants de l'appellation ont même obtenu en urgence une modification du cahier des charges par l'Inao. « On a obtenu l'autorisation de baisser la température des caves pour ralentir l'affinage ! Comme ça, on ne jettera rien. » Et les prix payés aux producteurs ont été maintenus. Et dans ce « combat », la fourme a bénéficié de la bienveillance de tous, y compris de Jean-Pierre Pernaut qui a vanté les mérites du fromage à son journal de 13 heures ! Les élus locaux ont joué le jeu aussi : le député Borowczyk a acheté de la fourme pour faire un don au personnel hospitalier local et la mairie de Montbrison en a fait de même au profit des associations caritatives de la ville.

Plan de relance

Aujourd'hui, toutes les entreprises ont repris, à l'exception de Tarit. Clairement, la situation s'est améliorée, même si l'arrêt de la RHD (Restauration hors domicile) demeure extrêmement pénalisant pour les entreprises. « La semaine dernière, nous étions à 50 % de nos ventes habituelles, commente Hubert Dubien. Au niveau local, ça fonctionne. Par contre sur nos nouveaux marchés comme Rungis, le Grand Ouest ou le Sud de la France, c'est plus compliqué de se repositionner, ils peuvent vite nous oublier. » ELS par exemple a reconcentré son activité sur Rhône-Alpes, mais de constater optimiste « que les Parisiens se remettent à commander. »

 

Au niveau local, l'entreprise a adapté sa commercialisation : le magasin est fermé mais un drive a été mis en place ainsi que des points de livraison dans les villages de la montagne forézienne. Et l'AOP ne compte pas rester les deux pieds dans le même sabot. « Nous préparons une communication nationale. Tout n'est pas encore défini, mais ça passera sûrement par le Web. Ça a un coût. Loire-Forez et le Département ont accepté de modifier leurs lignes pour nous aider à lancer ce plan de relance. » Eric Soubeyrand demeure prudent sur l'avenir. « On manque de visibilité. En avril, on a maîtrisé, on a évité les excédents mais pour la suite, on ne sait pas trop ce qui va se passer. » Et de se projeter au-delà. « En avril-mai, traditionnellement, on vend peu, contrairement au second semestre. La grande question ce sont les journées de la fourme en octobre. Il faut préparer des stocks dès juillet. C'est un gros temps de vente. Si ça ne marche pas... ». Le président Dubien se refuse à dresser un bilan économique, « il est bien trop tôt. Par contre le bilan humain, il est très bon ». La solidarité s'est invitée à la table, c'est déjà ça.

David Bessenay

 

LEGENDE FOURME L'AOP fourme de Montbrison compte aussi sur la communication du Cniel et de la Cnaol - « Fromagissons » - pour regagner au plus vite des parts de marché.