Sport
Roger Rivière, l'étoile filante du cyclisme

Recordman du monde de l'heure et candidat à la victoire finale sur le Tour de France, Roger Rivière était, à 24 ans, parti pour devenir l'un des meilleurs coureurs de l'histoire. Le 10 juillet 1960, une terrible chute a brisé ses ambitions et, quelque part, sa vie.
Roger Rivière, l'étoile filante du cyclisme

Au printemps 1976, les Verts font vibrer Saint-Etienne et la France entière au rythme de leurs exploits en coupe d'Europe de football. Si les poteaux carrés du 12 mai à Glasgow vont marquer durablement les mémoires, elles sont aujourd'hui beaucoup moins nombreuses à se souvenir qu'une autre sommité du sport local et national s'est éteinte quelques semaines auparavant. 44 ans plus tard, il ne reste effectivement qu'une poignée de symboles rappelant Roger Rivière (1936-1976). Pendant longtemps, seuls une rue sans personnalité de la zone industrielle Molina la Chazotte et l'anneau du complexe sportif de Méons ont entretenu, dans sa ville natale, la mémoire de ce cycliste au palmarès de géant bâti entre son ascension fulgurante et une fin de carrière brutale.

 

Il faut désormais y ajouter les plaques édifiées en 2013, rue Denis-Papin, à l'emplacement qu'occupait autrefois le vélodrome d'hiver, et 2017, cours Fauriel. Le fruit d'un combat de longue haleine incarné par un homme, André Piat. Car si certaines personnes contactées pour cet article considèrent que « le temps a simplement fait son œuvre », lui a refusé cette forme d'anonymat. « J'ai voulu que la mémoire de Roger Rivière perdure, explique celui qui avait monté un comité de soutien et lui a consacré un livre, paru en 2008 (1). Les gens passent vite à autre chose et oublient qu'il a porté très haut les couleurs de Saint-Etienne à une époque où le cyclisme était plus populaire que le football. » Une époque à laquelle jusqu'à 10 000 spectateurs viennent vibrer au vélodrome, détruit depuis en raison de sa vétusté. Roger Rivière s'y entraîne régulièrement et c'est là que le repère André Minasso. Le masseur doit s'employer pour convaincre le père du jeune homme de le laisser abandonner son métier de tourneur afin de se consacrer au cyclisme.

 

La rue Roger-Rivière, à Saint-Etienne.

 

Une progression éclair

Bien lui en prend car quelques années suffiront à ce que son poulain explose et se fasse un nom. En attendant, il s'illustre au niveau régional. C'est à ce moment-là que Jacky Chantelouve fait sa connaissance. Amateur reconnu, au point d'avoir refusé des propositions pour passer professionnel, celui-ci coupe d'emblée et refuse qu'on les mette sur le même plan. « J'étais un charlot à côté de Roger Rivière ! soutient-il au téléphone. Nous avons couru quatre ou cinq courses communes et partagé quelques entraînements avant de nous retrouver au bataillon de Joinville (où les sportifs remplissaient leurs obligations militaires, NDLR). Sa progression éclair ne m'a pas étonné, c'était un bel athlète, tellement costaud et hyper doué. Il était au-dessus du lot, ça se voyait tout de suite. Un phénomène du calibre de Jacques Anquetil (vainqueur de cinq Tours de France entre 1957 et 1964, NDLR) et un brave gars, qui ne se prenait pas pour un autre. »

 

À 20 ans, le Ligérien devient champion de France de poursuite, puis remporte la 2e et dernière édition d'un Tour d'Europe qui passe par la Yougoslavie, l'Italie, l'Autriche, l'Allemagne, la France et la Belgique. Tout sourit à celui qui a même l'audace d'annoncer la manière dont il va remporter certaines épreuves. Pour faire court, Roger Rivière devient triple champion du monde de poursuite sur piste (1957, 1958, 1959) et bat le record du monde de l'heure avec 46,923 km en 1957 sur un vélo exposé au musée d'art et d'industrie de Saint-Etienne, qu'il porte à 47,346 km l'année suivante malgré une crevaison. En 1959, il repart du Tour d'Espagne avec deux étapes et une 6e place au classement général avant de terminer 4e du Tour de France auréolé de deux succès. Autant dire qu'il compte parmi les favoris de l'édition suivante. « Il y avait dans le pays un engouement total pour le Tour de France. D'autant plus ici à Saint-Etienne, tout le monde le suivait pour Roger Rivière », contextualise André Piat.

 

André Piat s’est longtemps battu pour faire vivre la mémoire de Roger Rivière, avec notamment l’écriture d’un livre.

 

 

Du rire aux larmes

« Tous les autres coureurs le craignaient », ajoute Jacky Chantelouve. Ils n'ont pas tort : à mi-parcours, le Stéphanois a déjà remporté trois des onze étapes. Il n'a toutefois pas encore porté le maillot jaune, mais « il allait certainement gagner » la Grande Boucle. 2e au matin du 10 juillet, Roger Rivière compte 1'38 de retard sur l'Italien Gastone Nencini. Plein d'espoirs, sa journée va virer du rire aux larmes. Des rires, d'abord, quand il croise son épouse, postée sur le bord de la route. Des larmes, ensuite, avec une terrible sortie de route dans la descente du col de Perjuret. « Sa roue a chassé sur le gravier et je l'ai vu arriver à toute vitesse sur le petit mur qui borde la route. Il s'est mis un peu en travers, puis l'homme et le vélo ont basculé, ont escaladé d'un coup le muret et ils sont partis dans les airs, catapultés », racontera Bernard Viot, autre membre de l'équipe de France (2).

 

Pour tous, supporters, coéquipiers, proches, c'est la stupeur. « En écoutant la radio, on a cru à un moment qu'il était mort, c'était un choc », se souvient Jacky Chantelouve. Encore enfant à ce moment-là, André Piat est marqué par « des gens en larmes devant leur transistor ». S'il ne perd pas conscience, Roger Rivière comprend tout de suite la gravité de la situation : il ne sent plus ses jambes et restera paralysé une grosse semaine. Les secours parviennent à le hisser hors du précipice, une ambulance puis un hélicoptère prennent toutes les précautions du monde pour l'évacuer vers Montpellier. Le verdict est sans appel : double fracture de la colonne vertébrale et fin de carrière. A 24 ans. « Il a essayé de reprendre l'entraînement, mais ce n'était plus possible », renseigne Jacky Chantelouve. L'intéressé lui-même confesse souffrir d'un handicap au niveau des chevilles dans l'entretien télévisé qu'il accorde à Léon Zitrone depuis sa propriété de Veauche durant l'été 1961 : « Je me fais une raison, c'est fini. »

 

Business et ennuis judiciaires

La vie, elle, doit continuer. Roger Rivière se lance dans les affaires. Investit tour à tour dans un bar, Le Vigorelli, baptisé en hommage au théâtre milanais de ses exploits sur piste, un garage automobile à Saint-Etienne, un camp de vacances... Les difficultés s'accumulent. Pour certains témoins de l'époque, qui ne souhaitent pas s'exprimer publiquement, l'ancien coureur aurait été « mal conseillé » ou plus sûrement « abusé après avoir fait confiance un peu trop facilement ». « C'est triste, observe Jacky Chantelouve, qui a suivi tout cela à distance. C'était un bonhomme de qualité supérieure, qui correspondait aux valeurs de simplicité et d'humilité que j'aime. » Une banqueroute jugée frauduleuse lui vaut même une condamnation à trois mois de prison avec sursis début 1970.

 

Ce passage devant la justice n'est pas une première pour l'ancien champion. En décembre 1968, il bénéficie de « l'indulgence du tribunal » correctionnel de Saint-Etienne, titre le journal Le Monde. Lui et trois médecins sont condamnés à 200 francs d'amende avec sursis dans le cadre de son addiction au palfium, surconsommé pour contenir la douleur. « En trois ans, malgré une cure de désintoxication, il a avalé plus de 32 000 comprimés à la cadence, dans la dernière période des faits incriminés, d'environ 53 par jour, alors qu'il n'aurait pas dû en prendre plus de 7 », rapporte le quotidien du soir. Ses archives évoquent même sa mise aux écrous à la maison d'arrêt de la Talaudière au début des années 1970. Roger Rivière est effectivement mis en cause par l'un des participants à un hold-up commis fin 1969 à Alès. Lui clame son innocence et finit par retrouver sa liberté. Il n'en profitera pas longtemps, vaincu par un cancer du larynx à tout juste 40 ans. « Il a connu une fin de vie affreuse et s'est éteint dans d'atroces souffrances, le 1er avril 1976, au lendemain de la demi-finale AS Saint-Etienne - PSV Eindhoven qu'il souhaitait tant pouvoir suivre chez lui à la télévision... » conclut André Piat. Roger Rivière repose au cimetière de Veauche.

Franck Talluto

(1) Roger Rivière : Le vélo c'était sa vie
(2) Citation extraite du livre d'André Piat

 

 

En 5 dates

1936 : naissance
1957 : recordman du monde de l'heure à Milan
1959 : première participation aux Tours d'Espagne et de France
1960 : chute lors de la 14e étape du Tour de France, fin de carrière
1976 : décès

 

 

Une chute, deux théories

S'agit-il simplement d'un stupide accident ou faut-il y voir l'ombre du dopage ? Longtemps, la controverse a alimenté les débats. Suite à la chute de Roger Rivière au col de Parjuret, le 10 juillet 1960, les médias mentionnent les amphétamines et le palfium trouvés dans ses poches. Pour certains, la prise de telles substances pourrait avoir provoqué la sortie de route du champion après avoir altéré ses réflexes. « C'est notamment une thèse que Jean-Paul Olivier a développée dans le livre qu'il a consacré à Roger Rivière (La tragédie du parjure, paru au début des années 1990) et qui a généré des tensions avec la famille quand il est venu en dédicaces à Saint-Etienne », précise André Piat, qui ne croit pas à cette version. Jacky Chantelouve est sur la même longueur d'ondes, sans pour autant le dédouaner (« le dopage était généralisé dans le peloton, on le sait aujourd'hui »). « Roger Rivière n'était pas le plus agile sur son vélo, mais il n'avait peur de rien, il a pris un risque et est parti dans le décor », lâche-t-il, fataliste.
F.T.