Chambre d’agriculture
Une conjoncture agricole tendue, et demain ?

La Chambre d’agriculture de la Loire organisait, lundi 19 septembre à Feurs, à l’attention des éleveurs ligériens, une demi-journée sur le thème « Conjoncture, climat, nouvelle Pac : opportunités et risques pour les éleveurs de la Loire ». Retour sur l’intervention de Thierry Pouch, de Chambres d’agriculture France.

Une conjoncture agricole tendue, et demain ?
Thierry Pouch, économiste à Chambres d’agriculture France.

Thierry Pouch, économiste à Chambres d’agriculture France, intervenait dans le cadre d’une journée économique organisée par la Chambre d’agriculture de la Loire. Il a fait part de son analyse sur la conjoncture agricole, avec en toile de fond la pandémie, la guerre, le climat et la nouvelle Pac. Selon lui, « dans les années 2000, la transition vers l’économie de la connaissance et de l’immatériel avait convaincu du caractère inessentiel des ressources naturelles. Tout le monde pensait que le numérique prendrait le dessus. » Le monde avait connu une substitution des biens primaires et manufacturés par des biens informationnels. « Finalement, l’alimentation et l’agriculture sont revenus au premier plan. De 2010 à 2022, les crises, le climat, les conflits et guerres signent le grand retour des produits de base, et notamment agricoles. Avec le Covid et la guerre en Ukraine, la capacité de se nourrir devient décisive. »

Amplification avec la guerre

L’originalité de la situation actuelle est que les fondamentaux des marchés sont dépassés par un conflit militaire opposant deux acteurs prépondérants de l’agriculture mondiale. Le conflit russo-ukrainien a confirmé, voir même amplifié, le retour de la notion d’autonomie alimentaire. A noter aussi que 30% de la population mondiale se trouve en situation d’insécurité alimentaire.

« L’épisode de flambée des prix agricoles de 2021-2022 n’est pas inédit, rappelait Thierry Pouch. Il a des antécédents dans l’histoire longue de l’économie mondiale. » De plus, la hausse des prix des produits agricoles depuis le 24 février, date du début du conflit russo-ukrainien, a été précédée de signes annonciateurs, notamment à la suite des confinements. Les plans de relance dans de nombreux pays avaient enclenché une dynamique de la demande mondiale se portant sur les produits de base. La tendance enclenchée en 2021 a connu une nette amplification depuis février, en particulier parce que les acteurs économiques sont soucieux, mais aussi parce que l’Ukraine et la Russie sont des poids lourds sur les marchés agricoles. Les projections de la Banque mondiale mettent en évidence des prix orientés à la hausse jusqu’en 2024. « Cette situation se caractérise par le grand retour de l’inflation. »

Et demain ?

Pour Thierry Pouch, il se pourrait que l’année 2023 soit encore plus compliquée, et plus spécifiquement pour les agriculteurs : coûts et disponibilité des intrants, niveau des récoltes, coût de l’alimentation des animaux, risque de décapitalisation, arbitrages des consommateurs… Les aléas climatiques peuvent aussi à tout moment venir jouer les troubles-fêtes.

C’est dans ce contexte que la nouvelle Politique agricole commune (Pac) se met en place, qui se caractérise ainsi : un budget global relativement préservé, une conditionnalité plus stricte, l’introduction des eco-régimes dans le premier pilier, des aides à l’UGB, un second pilier relativement stable, le maintien de l’ICHN. Alors que cette nouvelle Pac se mettra en place au début de l’année 2023, Thierry Pouch estime qu’il est d’ores et déjà nécessaire de se projeter sur l’après-2027, avec en particulier la procédure accélérée d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne et ses conséquences pour l’agriculture.

« L’économie mondiale vit donc actuellement une période historique dont l’issue est étroitement corrélée aux conditions dans lesquelles la guerre va évoluer ou s’achever. Elle pourrait bien déboucher sur un nouvel ordre mondial. » Et d’ajouter : « Les crises confirment que les marchés agricoles évoluent loin de leur équilibre et qu’ils sont par définition instables. Ceci justifie des démarches régulatrices et des aménagements de réglementations. »

Dans une telle situation, faut-il aller vers un nouveau modèle agricole ? Selon Thierry Pouch, l’agriculture doit être économe en intrants, mais aussi productrice d’énergies, de matériaux, d’aliments, tout en étant en phase avec le climat. Si un nouveau modèle agricole devait se mettre en place, quels seraient les acteurs ? Quels seraient les leviers de financements ? Quelles sont les opportunités et les contraintes à identifier ? Quelle serait la temporalité ? « Une nouvelle loi d’orientation agricole se prépare. Sera-t-elle synonyme de rupture ou de simple adaptation ? » Thierry Pouch assure également que les nouvelles attentes sociétales vis-à-vis de la consommation alimentaire doivent être prises en compte.

Les atouts de l’agriculture française

Malgré ces nombreuses interrogations, l’économiste a souhaité mettre en avant les nombreux atouts de l’agriculture française : l’image des agriculteurs reste positive dans la population ; les producteurs sont en mesure d’opérer des transitions et d’innover ; la France possède une grande diversité de territoires et de productions ; la réputation du Made in France a été renforcée durant la pandémie et l’agriculture est reconnue comme socle de la sécurité alimentaire nationale ; une capacité à s’adapter aux mutations de la société française et à la demande mondiale ; un coût du foncier plus bas qu’ailleurs ; un commerce extérieur solide qui se redresse.

 

Lucie Grolleau Frécon