Agriculture biologique
Réfléchir ensemble au lait bio de demain

Mardi 25 janvier se tenait une rencontre des producteurs de lait bio de la Loire et du Rhône à Chalain-le-Comtal. L’occasion de faire le point sur la situation des éleveurs et des laiteries, mais aussi d’exposer la conjoncture actuelle et future de la filière.

Réfléchir ensemble au lait bio de demain
6 % ! C’est la part de bio en Auvergne Rhône-Alpes dans la collecte de lait de vache en 2019. Avec cette proportion, la région se hisse à la 2e position, après l’Occitanie.

« On est là pour construire et réfléchir ensemble » : c’est en ces mots que Marianne Philit, chargée de mission de l’Ardab (Association Rhône Loire pour le développement de l'agriculture biologique), amorçait la journée de présentation et d’échanges devant une assemblée d’une quarantaine de personnes. « Un public venu en nombre comme aujourd’hui, ça fait plaisir. On voit que le sujet intéresse, et même au-delà des frontières régionales. » Car la problématique du jour, « Quel avenir pour notre filière lait bio Loire et Rhône ? », concerne également l’ensemble de l’Hexagone.

Yves Sauvaget, président de la commission lait bio du Cniel (Centre national interprofessionnel de l'économie laitière) et Antoine Auvray, économiste du même organisme, ont ouvert le bal des différentes interventions. Le premier a informé ou rappelé l’organisation de la commission qu’il préside : « La commission bio du Cniel est composée de quatre collèges (producteurs, industrie privée, coopération et distribution) et est la seule à avoir des invités permanents : Biolait, Fnab, Agence bio, chambres d’agriculture et le ministère de l’Agriculture. Le tout réuni englobe une bonne trentaine de personnes et on sent que la thématique suscite beaucoup d’intérêt, car on reçoit souvent des demandes d’élargissement »

Chiffres et tendances

Antoine Auvray a ensuite exposé la conjoncture laitière bio en France, introduite notamment par quelques chiffres-clés de la filière laitière biologique (cf. graphique). Un peu plus de 50 % du lait bio est produit dans l’ouest du pays (Pays-de-la-Loire, Normandie, Bretagne). « Cela suit particulièrement bien le croissant laitier, avec assez peu de lait dans le Centre, en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie. Quant à la région Auvergne-Rhône-Alpes, elle s’affichait comme la troisième région productrice de lait bio en France en 2019, avec à peu près 15 % de la production. », développait Antoine Auvray.

La part du lait bio dans la collecte régionale de lait de vache cette même année était de 6 % en Auvergne-Rhône-Alpes, après l’Occitanie (6,9 %), soit la 2e région en France. En termes de volumes, en Auvergne-Rhône-Alpes, la collecte laitière atteignait les 64 millions de litres en 2015. Entre 2015 et 2020, 98 millions de litres se sont ajoutés, soit une hausse significative de 154 %. 

Quant au prix, le lait bio est relativement stable dans le temps depuis cinq ans. Entre 2020 et 2021 par exemple, les plus gros écarts enregistrés étaient compris entre -5 et +5 euros pour 1 000 litres. Mais cette stabilité commence à s’essouffler, « à l’image du dernier semestre 2021 où on n’arrive plus à tenir les prix », concluait l’économiste.

Depuis le pic de 2016, le nombre de conversions au bio se tasse, bien que toujours plus élevé que sur la tranche 2011-2015. Mais entre les primes de conversions et les ambitions de nombreuses régions vis-à-vis du développement de l’Agriculture biologique (AB), l’attrait vers la conversion ne laisse pas les éleveurs insensibles.

Gestion de la situation chez Biolait et Sodiaal 

Plusieurs intervenants de coopératives laitières (Biolait et Sodiaal) se sont ensuite exprimés lors de cette réunion. Notamment autour d’une thématique commune : « Comment s’adapte-t-on dans un contexte pareil ? »  

A commencer par Christian Ville, administrateur de Biolait SAS et producteur de lait bio dans l’Isère au sein du Gaec des Vorsys. « L’entreprise Biolait en tant que telle n’est pas menacée. L’adaptation de Biolait se fait par ses adhérents et ce sont eux qui la portent. » Pour rappel, Biolait représente 300 millions de litres dans toute la France, avec un prix moyen de 452 euros au litre pour 2021, contre 470 en 2019. 

A court terme, Biolait gère les volumes avec différents systèmes depuis 2019, année où des problèmes d’excédents de volumes et de déclassements de lait plus marqués ont été constatés. « Ça devient de plus en plus compliqué parce qu’on demande à nos adhérents de réduire leur volume dans une filière qui continue à croître de 10 à 12 % par an. On milite pour que cette gestion de volumes soit faite à l’échelle de la filière, mais pour l’instant avec peu de succès. » Ainsi, en juin 2021, à la suite d’une réunion, la décision de ne plus prendre d’adhérents a été actée, à l’exception des projets d’installations. Cela fait deux années, 2020 et 2021, que l’on progresse seulement de 3 % en volume. Quant à sa démarche qualité, Biolait « incite fortement à l’autonomie, un de nos fondements ».

Au niveau des ventes pour s’adapter, la coopérative laitière a pris la décision de déclasser du lait. « On essaie de contractualiser tout ce qui n’est pas placé en bio, sur des durées plus courtes en conventionnel pour sécuriser les choses », précise Christian Ville. Avant d’ajouter : « Cette année 2021, le marché du conventionnel fait que l’on n’a pas trop dégradé notre prix par rapport au taux de déclassement, même si c’est toujours trop ». Ainsi, dans la politique des ventes en bio, Biolait affiche clairement sa volonté de maintenir des prix corrects plutôt que de chercher à les baisser pour faire plus de volumes.

A moyen comme à long terme, un projet stratégique est en déploiement du côté de la coopérative laitière. Et ce, sur deux points : « trouver des moyens de mieux communiquer sur le bio auprès des consommateurs et s’appuyer davantage sur les projets locaux », termine Christian Ville.

Autre intervenant de coopérative laitière, Yvan Ogier est administrateur Sodiaal. Originaire du sud du Rhône, il est producteur de lait en conversion à Champdieu au sein du Gaec Chomarat. Il a exposé quelques chiffres en préambule sur le rayonnement de Sodiaal et ce, sur les deux départements : dans le Rhône, 53 exploitations en agriculture biologique pour 13 millions de litres de lait ; dans la Loire, 93 exploitations pour 27 millions de litres. Parmi ces exploitations, deux sont en phase de conversion dans le Rhône, trois dans la Loire (dont Yvan Ogier lui-même). « Ces deux départements sont des gros départements laitiers pour Sodiaal », ajoutait d’ailleurs Yvan Ogier.

Avant d’entrer dans le cœur du sujet : « Notre politique au niveau des gestions de volumes, on l’avait considéré autrement. En 2019, on a eu un arrêt de conversions entre le printemps 2019 et le printemps 2020, parce que l’on voyait qu’au niveau de la fabrication, ça n’allait pas aussi vite qu’on l’espérait. On avait déjà mis un coup de frein à cette époque-là. » Mais peu de temps après, plus de 50 exploitations se sont lancées dans la conversion. Une réouverture sur l’année 2020 « qui a camouflé le problème de fond, surtout avec un printemps assez exceptionnel, qui a aussi caché les soucis à venir », ajoutait l’administrateur.

Constatée dès le printemps 2021, la dégradation était telle que Sodiaal ne pouvait qu’être pessimiste sur les prévisions de la saison estivale. La décision a donc été prise de déclasser : « ce qui est ressorti lors des réunions, c’est qu’il fallait plutôt inciter à la baisse de production en 2022 plutôt que de taper sur les prix ». La coopérative Sodiaal vise désormais la stabilisation des arrivées de lait : « 225 millions de lait devrait rentrer », finit Yvan Ogier.

Axel Poulain

Quels leviers d'action ? 

Jean-Pierre Monier, référent technique régional lait bio de la Chambre d’agriculture de la Loire, a ensuite exposé les leviers d’actions en production laitière en bio pour améliorer le revenu des producteurs. Après bon nombre d’observations menées, notamment avec le collectif BioRéférences, le Pôle AB du Massif central et la région, trois axes d’études sont ressortis.

D’une part, l’alimentation. Deux leviers d’actions ont été proposés : viser l’efficacité alimentaire, mais aussi la cohérence sur l’autonomie du système. Sur ce dernier point, Jean-Pierre Monier prévenait : « avant de se lancer dans de grands changements, s’assurer d’un bon équilibre de la ration et viser un équilibre PDIE/UFL (niveau protéique ou azoté de la ration des vaches laitières) entre 95 et 105 g tout en veillant à bien couvrir les besoins du troupeau. » Tout ceci induisant de bien connaître la valeur alimentaire de ses fourrages et de faire systématiquement des analyses fiables.

Du côté de la mécanisation, il est important de souligner que les investissements représentent plus de la moitié du poste. Parmi les leviers proposés par la Chambre d’agriculture, déléguer certaines tâches à des tiers, tout en évitant les doublons de matériels. En outre, la puissance des tracteurs utilisée doit être adéquate, au même titre que les choix culturaux et les rotations (semis sous couvert, part du maïs…). Quant au système d’alimentation des vaches laitières, il ne doit pas être laissé de côté, mais plutôt optimisé. Au-delà de ces leviers évoqués par Jean-Pierre Monier, ce dernier a souhaité informer sur certains dérapages à contrer, comme par exemple en effectuant un bon entretien de ses machines pour éviter la casse. Il faut éviter par ailleurs l’achat d’un matériel surdimensionné et trop coûteux. Enfin, toujours dans l’optique de faciliter la mécanisation, privilégier la cohérence entre les différents postes mécanisation et assurer une logique fiscale raisonnée.

Dernier levier principal, les bâtiments. S’il semble logique de mettre en place des bâtiments fonctionnels, ces derniers doivent également être adaptés aux périodes de canicule. Le bien-être des vaches laitières doit également être optimisé, notamment lorsqu’il s’agit de penser productivité. Les bâtiments doivent par ailleurs disposer d’un équipement pré-refroidisseur de lait ainsi que d’un système d’économie d’énergie. Quant à son emplacement, il est préférable d’être situé à proximité d’un pâturage doit être disponible.