ARTISANS
Les bouchers « ont les crocs »

Le confinement a fortement impacté les modes de consommation. Finie la restauration hors foyer, vive la cuisine maison et donc l'approvisionnement dans les magasins de bouche pour acheter de bons produits. Ce changement demande aussi beaucoup d'adaptation aux artisans-bouchers. Témoignages.
Les bouchers « ont les crocs »

 La confédération française des bouchers est à pied d'œuvre, « pas une journée sans que l'on envoie des informations à nos adhérents » signale Jean-Luc Brise, membre du bureau national et responsable des bouchers de la Loire. C'est qu'en cette période si particulière, la profession est sur le qui-vive pour répondre aux enjeux sanitaires et économiques. Pour l'heure, les bilans sont les mêmes dans tous les départements, hormis les zones touristiques, la consommation dans la boucherie artisanale est en progression « de 10 à 30 % », estime le professionnel. Ainsi, 59 % des bouchers constatent une hausse de leur chiffre d'affaires et pour une boucherie sur quatre, cette hausse dépasse les 20 % !

Les traiteurs pas à la fête...

Seule exception dans ce tableau économique positif, l'activité de traiteur qui elle, évidemment, est en chute. « Environ 12 % de nos adhérents ont recours à du chômage partiel en cette période, ce sont essentiellement les entreprises qui ont une activité de traiteur importante ». De même, les professionnels reconnaissent une forte baisse de la demande des plats cuisinés. En d'autres termes, les bouchers ont plus de travail et les charcutiers en ont un peu moins. Si la boucherie se porte bien, elle ne le doit pas seulement aux consommateurs, c'est aussi parce qu'elle est toujours au travail. « La plupart des salariés sont en poste, constate Jean-Luc Brise, hormis quelques arrêts pour garde d'enfants. 70 % de nos adhérents déclarent des effectifs au complet. »

Commandes et livraisons

Mais pour s'adapter au contexte, beaucoup d'artisans ont choisi de réduire leurs horaires d'ouverture. C'est le cas de la boucherie Brise à Roanne : ouverture plus tardive, fermeture plus précoce, rideaux baissés le dimanche matin « et ça n'empêche pas une hausse du chiffre d'affaires. » Jean-Luc Brise constate dans son propre magasin les tendances générales : une chute de l'activité traiteur mais un flux dans le magasin plus important qui compense largement. Surtout, l'organisation est différente : la clientèle est désormais sensibilisée au confinement, elle passe commande, « et des commandes importantes, pour 8 à 10 jours de consommation », faisant exploser le panier moyen qui « a presque triplé ». Parallèlement, le boucher a largement vu augmenter ses volumes de livraisons à domicile. Cette hausse de la consommation n'entraîne pour l'instant pas de flambée des prix et les artisans n'ont certainement pas envie de profiter du contexte. Mais de s'interroger pour l'avenir. « A terme, les prix risquent de grimper pour des raisons externes : les méventes actuelles de sous-produits (cuir et abats) et la hausse du prix du transport. »

Fréquentation, produits... les bouchers s'adaptent

A Chazelles-sur-Lyon, la boucherie Pupier est solidement implantée. Alain et son épouse président aux destinées de ce commerce qui compte un salarié boucher et une vendeuse à temps partiel. Il commercialise notamment des génisses et des veaux sous la mère en limousin, issus d'un élevage « avec lequel je travaille en confiance depuis de longues années ». Habitués à mettre en place des mesures d'hygiène, les bouchers ont encore renforcé la vigilance : « on porte gants et masques, on respecte les gestes barrières », assure Alain Pupier. Et de se féliciter de la discipline de la clientèle, « respectueuse, jamais plus de deux personnes à la fois dans le magasin. » Malgré la situation sanitaire, la boucherie a décidé de conserver ses horaires d'ouverture. « Certains commerces ferment l'après-midi, ce n'est pas notre cas. Cela nous permet de prendre des commandes et cela répartit un peu la fréquentation. Il ne faudrait pas qu'elle se concentre uniquement le matin. »

 

Comme son collègue du Roannais, il constate une modification de la fréquentation : « Avant le confinement, les samedis après-midi et les dimanches matin étaient très chargés. Désormais, c'est plus étalé. Certains clients passent commande pour le mardi ou le mercredi. On travaille beaucoup plus en début de semaine. » Au final, la situation économique demeure tout à fait correcte même si « la consommation est en dents de scie. La première semaine de confinement, on a énormément travaillé car les gens ont fait des stocks pour mettre dans leur congélateur. La semaine suivante a été beaucoup plus calme. La troisième semaine, c'est reparti grâce aux barbecues. Les gens ne peuvent pas sortir, alors pour se remonter le moral, ils ont fait un barbecue à la maison. » Autre constat très net, la demande a évolué vers « plus de steaks hachés et de volailles car les enfants sont à la maison. C'est difficile d'équilibrer. On vend très peu de veau par exemple car c'est plus cher, il y a aussi un problème de pouvoir d'achat. »

Pas de souci d'approvisionnement

Du côté des abattoirs, La Talaudière a réduit la voilure. Il n'y a plus d'abattage de veaux le mercredi et pas d'abattage de bœufs le vendredi. « On s'adapte, mais ce ne sont pas de grosses contraintes pour nous. Je me fais livrer, sans aucun souci. Je travaille aussi avec VLF (Viandes Limousin Forez, grossiste, à Saint-Etienne) mais là encore, il n'y a pas de d'impact ni de changement sur leur tournée. » Le week-end de Pâques approche et sera forcément particulier. « Malheureusement, on va passer à côté, il n'y aura pas de grandes tablées familiales donc c'est quasi impossible de vendre des gigots. Alors on les débite en petits rôtis, en tranches... Habituellement, on vend aussi des produits comme le saumon ou le foie gras. Cette année, non », regrette le professionnel de Chazelles. Une situation inédite à laquelle les bouchers font donc face. Mais Jean-Luc Brise a un dernier message à lancer. « Les artisans bouchers ont été interdits sur les marchés contrairement aux producteurs. C'est injuste. Nous avons écrit à ce sujet aux députés de la Loire ainsi qu'au Préfet. A ce jour (NDLR : mardi 7 avril), nous n'avons toujours pas obtenu de réponse. » A Bon entendeur...

 

David Bessenay