Portraits d'influenceurs
S’emparer des réseaux sociaux pour faire valoir son métier

Louis Debard alias « lauvergnat63 » ou Sophie Renaud alias « sophiie-farmerlife » … Ces noms ne vous disent peut-être rien. Pourtant, il est fort probable que vos enfants ou petits-enfants fassent partie des dizaines de milliers de personnes qui suivent le quotidien de ces agriculteurs via les réseaux sociaux. Le recours à l'influence en agriculture est de plus en fréquent.

S’emparer des réseaux sociaux pour faire valoir son métier
L'agriculteur drômois Gaël Blard, le berger basque Joseph Boussion, l'éleveur auvergnat Louis Debard et la céréalière Sophie Renaud de Charente-Maritime utilisent, chacun à leur façon, les réseaux sociaux pour faire connaître leur métier et partager leurs connaissances.

À 19 ans, Alexandre Morel, alias « la vie en AOP comté » sur l’application TikTok, partage sa vie d’exploitant laitier dans l’Ain avec ses 23 000 abonnés (NDLR : personnes qui suivent son compte). « Je me suis rendu compte que personne ne défendait notre cause, qu’il fallait rééquilibrer la balance », explique le jeune homme, qui passe environ une heure et demi par semaine à créer de courtes vidéos en lien avec son métier sur le réseau social.

Briser les stéréotypes via TikTok et Instagram

Ce besoin de défendre sa profession revient souvent dans la bouche des jeunes agriculteurs et agricultrices massivement suivis sur les réseaux sociaux. En Charente-Maritime, Sophie Renaud, alias « sophiee_farmerlife » sur Instagram, a profité de son titre de Miss France agricole 2021 pour se créer une communauté de 35 000 abonnés et faire passer un message simple. « Je veux montrer que les femmes savent conduire un tracteur et qu’elles ne sont pas là juste pour faire la comptabilité… Beaucoup de jeunes filles m’écrivent pour me dire que grâce à moi, elles ont osé devenir agricultrice », affirme la céréalière, qui pose fièrement en tenue de travail devant ses machines. « J’incite tous les agriculteurs et agricultrices à avoir un compte Instagram. On peut échanger avec d’autres professionnels et voir les difficultés des autres départements. On se sent moins seuls et cela ne demande qu’un téléphone et un trépied ! »

Expliquer et partager ses difficultés sur sa chaîne YouTube

Partager ses connaissances et ses galères, fut aussi les raisons qui ont poussé l’agriculteur drômois Gaël Blard à se lancer sur YouTube. « Lors de mon installation, j’ai commencé à chercher des informations sur les réseaux sociaux pour cultiver de nouvelles choses comme l’ail, relate-t-il. J’ai créé ma chaîne de vidéos en 2017 pour partager, à mon tour, mon expérience. » Une idée qui a visiblement plu, puisque l'agriculteur est suivi par 73 000 personnes sur YouTube. Une année, cette popularité lui a même permis de sauver sa récolte d’ail, qui ne plaisait alors pas aux grossistes et aux grandes surfaces. « À la suite d’une vidéo où j’expliquais tout ça, j’ai vendu en vente directe 8 t d’ail en deux samedis ! »

Devenir l’ambassadeur et le porte-voix de sa profession

Outre l’envie de partager son quotidien, développer un compte sur les réseaux sociaux peut également ouvrir de nombreuses portes. Le Puydômois, Louis Debard, alias « lauvergnat63 » sur TikTok, en sait quelque chose. Le jeune homme utilise les vidéos pour expliquer son installation et mettre en avant les petites structures agricoles. Avec 144 000 abonnés, il est certainement le jeune éleveur laitier le plus connu de France. Ce qui lui a valu d’être, à deux reprises, l’ambassadeur du Sommet de l’élevage, à Cournon-d’Auvergne. Les marques l’approchent également pour mettre en avant leurs produits sur son compte TikTok. « En ce moment, une marque m’envoie gratuitement une veste anti-pluie que je teste et présente sous forme de vidéos, détaille-t-il. Mais ce n’est pas ça qui va me nourrir en ce moment. »

En France, les agriculteurs qui réussissent à tirer profit et à vivre des réseaux sociaux sont rares. L’exception à la règle est Émile Coddens, alias « levigneron » sur TikTok. En étant le premier viticulteur à parler de viticulture sur le réseau social en 2020, le jeune homme, originaire d’Indre-et-Loire, a réussi à fédérer plus de 500 000 abonnés. « Ça a changé ma vie », confie celui qui a eu l’opportunité d’écrire « un guide décomplexé sur le monde du vin » et de « créer une microentreprise de vidéaste » pour gérer ses nombreux partenariats. Mais surfer sur la vague des réseaux sociaux peut aussi apporter son lot de risques.

Répondre aux propos d’Hugo Clément sur Facebook

Joseph Boussion est un féru de montagnes. Pas seulement par loisir et amour de la randonnée, mais parce qu’il est berger. Depuis 2017, il navigue entre son Pays basque natal, les Pyrénées et les Alpes. C’est lors de sa formation à la Motte-Servolex (Savoie) que l’idée lui vient de créer une page Facebook, appelée « Carnet de berger ». « J’ai fait ça par envie de mettre une petite fenêtre sur un milieu qui ne fait pas de bruit et qui a traversé les âges, relate-t-il. C’est une culture très orale, qui se transmettait durant les foires et qui se perd… Maintenant, beaucoup de discussions entre bergers se déroulent sur les réseaux sociaux. »

Au fil du temps, les péripéties de Joseph attirent l’œil d’un public plus large. Jusqu’à ce qu’en 2020, éclate un « clash » entre le berger et le journaliste Hugo Clément, qui venait de diffuser un reportage sur la traque d’un loup dans les Hautes-Alpes. Ce dernier évoquait notamment un loup abattu dans le col du Lautaret. Le photographe animalier interviewé évoque des louvetiers « qui s’en foutent, n’ont aucune estime pour les loups ». Des mots qui ont interpellé le berger, qui n’a alors pas hésité à saisir son téléphone pour se filmer et faire part de sa colère sur sa page Facebook. « Je connaissais les louvetiers en question, qui m’ont appelé et m’ont expliqué le récit complet de la nuit, qui était loin de ce qui a été présenté par l’interviewé, détaille-t-il. Je n’avais pas envie qu’on ait ce son de cloche, qui n’était pas cohérent avec ce qui s’est passé. » Sa vidéo a alors pris des proportions qu’il n’aurait pas imaginées : elle a été vue 1,7 million de fois, mais a aussi été le fruit de plusieurs menaces de mort à l’encontre du berger.

Aujourd’hui, 41 000 personnes suivent son quotidien et ses explications sur le fonctionnement du pastoralisme. « J’ai dépassé le cercle des initiés pour également toucher une population qui n’a rien à voir avec ce milieu », explique-t-il avec une certaine satisfaction. Malgré cette expérience digitale et médiatique, Joseph Boussion préfère parler de sa page Facebook comme d’un lieu de bienveillance et d’échanges sur les pratiques du pastoralisme.

Léa Rochon