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Publication

À lire : « Paysannes - Histoire de la cause des femmes dans le monde agricole »

Historien, Jean-Philippe Martin a récemment publié « Paysannes - Histoire de la cause des femmes dans le monde agricole ». Il raconte comment les agricultrices, longtemps invisibilisées et sans droits sociaux, ont lutté pour que leur travail et leur place dans la société soient reconnus. Rencontre avec l’auteur chez son éditeur. 


 

Par Christophe Soulard 
À lire : « Paysannes - Histoire de la cause des femmes dans le monde agricole »
Paysannes - Histoire de la cause des femmes dans le monde agricole - Jean-Philippe Martin, éd. de l’Atelier, 280 p., 21 euros.

De nombreux ouvrages ont été rédigés sur la condition paysanne, l’émergence des mouvements contestataires post-68 dans les campagnes, sur les femmes et la viticulture(1), « mais il manquait quelque chose », remarque Jean-Philippe Martin, agrégé et docteur en histoire, et ancien enseignant au lycée Jean-Monnet à Montpellier. Il manquait un livre qui raconte et synthétise l’émergence de la parole des femmes et leur visibilité dans la sphère agricole.

« Beaucoup de ces femmes qui avaient une vingtaine d’années dans les années 1960-1970 ne voulaient pas revivre les conditions de vie de leurs mères qui se plaignaient d’être ‘‘ Premières levées. Dernières couchées ’’ ». En plus des travaux de la ferme, elles avaient à gérer toute la maisonnée : la cuisine, les enfants, le ménage, le lavage, le repassage… le tout sans samedi et sans dimanche. « On ne parlait pas de charge mentale à cette époque-là, mais le vocabulaire était présent à travers l’expression souvent employée : "Il faut que je pense à…" ».

« Club de rencontres » 

C’est le Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA), devenu depuis Jeunes agriculteurs (JA), qui pose la question de l’organisation du temps libre, en parallèle de l’essor de la mécanisation. « Le CNJA a été très influencé par la Jeunesse agricole catholique (JAC) et sa branche féminine (JACF). Dans les réunions de la JACF, avec une non-mixité imposée, souligne Jean-Philippe Martin, les langues se délient. Les sujets sont nombreux : la formation, la modernisation du logis, l’exode rural, mais aussi l’espacement des naissances ».


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Ce lieu de discussion, sous le regard d’une hiérarchie ecclésiale tantôt tatillonne tantôt bienveillante, devient aussi un « club de rencontres ». Nombreux sont les dirigeants syndicaux nationaux à avoir rencontré leur femme au sein de la JAC : Michel Debatisse, Raymond Lacombe et bien d’autres.

Dans les années 1960-1970, les femmes revendiquent de nouveaux droits et contestent la position de dominées dans laquelle les cantonnent la société, la famille et le milieu professionnel. Elles luttent pour obtenir un statut et le congé maternité, qu’elles parviennent à obtenir pour une durée de 15 jours en 1977, mais à condition de financer une partie du coût du remplaçant.

Pas féministes 

La grande lutte des agricultrices au cours des années 1970-1980 est la reconnaissance de leur participation directe dans les décisions et la gestion de l’exploitation. Elles veulent devenir plus visibles et acquérir un statut. Ce n’est qu’en 1961 qu’elles ont été reconnues comme agricultrices. Mais beaucoup d’entre elles ne veulent pas être associées au mouvement féministe, considéré comme un mouvement plus urbain.

La quête des droits se poursuit au fil des ans, sous la pression des syndicats agricoles, notamment par l’entremise de la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA et aussi de la Confédération paysanne. Mais il faut attendre 2006 pour que le statut de chef d’exploitation leur soit définitivement accessible. L’ouvrage revient aussi sur la place des femmes dans les structures professionnelles agricoles comme les syndicats et les coopératives.

Mais contrairement aux idées reçues, elles ne se revendiquent pas toutes comme féministes. « C’est quelque chose qu’on voit aussi dans les luttes ouvrières », souligne Jean-Philippe Martin. Pour elles, « être féministe, c’est en quelque sorte s’identifier aux femmes de classes moyennes ou supérieures, urbaines et éduquées (…) Elles ne veulent pas y être associées ». Il leur reste encore d’autres droits à conquérir comme l’accès au crédit, l’accès au foncier, la formation et naturellement une meilleure visibilité dans les instances dirigeantes… 

1 - Jean-Louis Escudier, Les Femmes et la vigne. Une histoire économique et sociale (1850-2010)