Accès au contenu
Sécheresse de 1976

Des opérations coordonnées pour sauver le cheptel

Retour 40 ans en arrière. Zoom sur la manière dont l’agriculture ligérienne a vécu cette période difficile qu’a été la sécheresse de 76 et comment l’opération « Sauvetage du cheptel » a fonctionné.
Des opérations coordonnées pour sauver le cheptel

Comme un peu partout en France, dans la Loire la sécheresse du printemps a entrainé une production d'herbe très faible, « voire même inquiétante en de nombreux endroits », pouvait-on lire dans un Paysans de la Loire du mois de mai. Un article technique donnait des conseils pour bien utiliser l'herbe peu abondante et éviter le gaspillage. Mais initialement, les responsables d'organisations agricoles se refusaient à noircir le tableau, pour éviter la panique générale et que les éleveurs ne mettent sur le marché leurs animaux, risquant de faire écrouler les cours. Mais devant la situation qui s'aggravait, avec le manque de fourrages et la situation économique difficile, les responsables départementaux ont tiré la sonnette d'alarme mi juin, voyant que la sécheresse devenait catastrophique pour l'agriculture ligérienne.
La FDSEA adressait alors un courrier au préfet. On pouvait y lire : « Nous avons pu constater que les récoltes de fourrages (ensilage et foin) sont très largement déficitaires ou même nulles en certains endroits. Aussi, les éleveurs ont et auront pour l'automne et l'hiver prochains d'énormes difficultés à nourrir leur bétail, et la production en sera extrêmement réduite. D'autre part, les prairies grillées par le soleil et sur-pâturées auront d'énormes difficultés à reprendre une pousse normale, même si la pluie venait rapidement. Les semis de maïs ne sont pas mieux lotis. (...) Les autres céréales sont aussi extrêmement touchées par le manque d'eau et ne permettent pas d'espérer un rendement normal. » Ce courrier demandait que le préfet intervienne à l'échelon national pour obtenir le classement du département en zone sinistrée et pour demander des aides directes et indirectes.
Les membres du bureau de la Chambre d'agriculture de la Loire demandaient eux aussi, fin juin, que des mesures soient prises. « Il importe, dans un premier temps, de tout faire pour éviter la destruction du cheptel de production. Certaines mesures temporaires devraient être prises, telle que par exemple l'interdiction de détruire les pailles après la moisson dans les départements céréaliers, afin qu'avec un ramassage et un transport organisés, nous puissions récupérer ce fourrage qui, bien que de faible qualité, permettrait malgré tout à de nombreux agriculteurs de sauver leur cheptel et d'éviter le pire ».

 

Opération « Sauvetage du cheptel »

Fin juin-début juillet, progressivement, les choses se sont organisées dans le département. Une opération concertée entre la FDCuma et la Fédération des comités de développement agricole s'est mise en place pour approvisionner la Loire en paille et en mélasse, dans l'objectif de sauver le cheptel et d'éviter la surenchère sur le prix des fourrages. L'opération paille, appelée aussi plus largement opération « Sauvetage du cheptel », a pris rapidement de l'ampleur. Les comités de développement étaient les maîtres d'ouvrage. Leurs conseils d'administration, en étroite collaboration avec les conseillers agricoles du Suad (Service d'utilité agricole et de développement, service de la Chambre d'agriculture), se sont activés sur le terrain. Les syndicats agricoles locaux collectaient les demandes et organisaient les équipes de volontaires. Les Cuma mettaient à disposition leurs matériels. La Chambre d'agriculture mettait quant à elle à disposition ses cadres et sa direction, ses services administratifs, ses secrétaires. Les conseillers agricoles ont bouleversé leur planning pour participer, spontanément, à l'organisation de l'opération. La fédération des comités de développement assurait la couverture générale de l'opération, négociait les accords départementaux, multipliait les contacts avec l'administration, la SNCF. Des chantiers de bottelage de paille très importants se sont mis en place dans plusieurs départements : Ain, Isère, Drôme, Puy-de-Dôme, Indre, Cher.
La paille arrivant dans la Loire, bien qu'elle ait été donnée par des agriculteurs d'autres départements, avait un prix trop élevé pour les éleveurs en raison du coût du bottelage, du ramassage, du transport (camions, trains). Ceci malgré le fait que la Loire ait été admise au bénéfice du « plan paille » du gouvernement, prévoyant des réductions sur le transport de la paille et des fourrages.
En août, des opérations maïs se sont mises en place localement, en concertation entre les comités de développement, les syndicats agricoles, les Cuma, l'objectif étant de maintenir le troupeau, et non de produire beaucoup, comme le soulignent les responsables, le prix de ce fourrage étant relativement élevé. Le maïs était livré par camions sur les exploitations.
Début octobre 1976, un premier bilan de l'opération « Sauvetage du cheptel » a été présenté. 10 000 tonnes de paille ont été acheminées dans le département, ainsi que 8 000 tonnes d'ensilage de maïs. Un besoin de 1 500 tonnes de foin a été recensé. A titre de comparaison, en 2003, l'association solidarité sécheresse avait acheté 43 500 tonnes de paille, 26 300 tonnes d'ensilage et 1 600 tonnes de foin. Et en 2011, 30 000 tonnes de paille et 3 600 tonnes de foin ont été livrées aux agriculteurs ligériens par l'intermédiaire de l'association solidarité sécheresse Loire.

 

Comment alimenter les animaux ?

De nombreux conseils techniques sont dispensés aux agriculteurs dans les pages du journal agricole, notamment pour alimenter les animaux : utilisation de paille dans la ration, semis de dérobées si la météo le permet, ensilage des céréales, récupération de sous-produits dans d'autres régions. La Chambre d'agriculture donnait également des conseils pour optimiser l'irrigation et sensibiliser les agriculteurs pour qu'ils n'achètent pas des fourrages à n'importe quel prix. On pouvait par exemple lire dans le journal du 3 juillet : « Ce qu'il faut faire face à la sécheresse : prévoir un semis de dérobées permettant une alimentation d'automne et d'hiver ; se tenir prêt à intervenir dès la première pluie, même pour des semis tardifs ; après la récolte, travailler immédiatement le sol pour limiter l'évaporation ; avoir des stocks de semences et d'engrais pour intervenir très rapidement après la pluie ; tarir les animaux à faible production ; vendre les vaches peu intéressantes pour l'avenir ; ne pas trop attendre pour acheter paille et foin, qui risquent de manquer ».

 

Déjà le stockage de l'eau

Dans l'édition du 26 juin 1976 de Paysans de la Loire, Christophe Extrat, chef du service de développement agricole à la Chambre d'agriculture, soulevait la problématique du stockage de l'eau. « Il serait possible de faire mille retenues collinaires sur notre département, ce qui apporterait sécurité climatique à 3 000 à 5 000 agriculteurs de coteaux. Notre région se prête à la réalisation de retenues collinaires. Des retenues de 5 à 10 000 m3 réalisées à deux ou trois exploitants pourraient permettre à de nombreux éleveurs de mieux maîtriser leur production de fourrages ». Aujourd'hui encore, les responsables professionnels agricoles prônent la construction de retenues collinaires, d'autant plus que les épisodes de sécheresse se multiplient.

 

Lucie Grolleau Frécon

 

 

1976, une sécheresse qui a frappé les esprits

 
Marquée par la sécheresse, l’année 1976 restera gravée dans les mémoires. D’anciens agriculteurs de Rhône-Alpes témoignent de ce qu’ils ont vécu et racontent l’élan de solidarité qui s’est créé pour trouver des fourrages pour  nourrir les bêtes. Retour
«Sur certaines parcelles, la terre ressemblait presque à de la cendre ; sur d’autres, elle formait de grosses mottes dures. » Julien Berne, ancien éleveur aujourd’hui octogénaire, cherche dans ses souvenirs. Lors de la sécheresse de 1976, il élevait environ 17 vaches laitières et une trentaine de chèvres dont s’occupait plus spécialement son épouse. Le couple était installé à Plats en Ardèche, où il réside toujours, un secteur « qui sèche très facilement ». Quelques centaines de kilomètres plus au nord, dans l’Ain, Jean Merle alors président de la FDSEA se souvient : « les dernières précipitations sont tombées le 23 avril, sous forme de neige. Le maïs qui sera semé après cette date n’arrivera jamais à maturité. » La profession, parmi ses premières décisions, organise de grands chantiers d’ensilage de maïs après avoir évalué la valeur de chaque parcelle. « Certains éleveurs donnaient la coupe des haies à leurs bêtes… J’avais même vu lors d’un voyage en Normandie les cidriculteurs couper les branches des pommiers pour nourrir le bétail », se rappelle Jean Merle. Les premières Unes de la presse agricole de l’époque datent de la mi-juin et titrent sur l’inquiétude de la profession. « Les bêtes ont commencé à manquer. Elles n’avaient plus rien à manger dehors, elles bousculaient les clôtures et avaient même pris la route, se remémore encore Julien Berne. On commençait à leur donner les stocks d’hiver ; on achetait des drêches. Les vaches produisaient moins de lait, qui n’était déjà pas payé bien cher. Si les chèvres se défendaient mieux, elles en faisaient tout de même moins, elles aussi. Nous avions plus de dépenses que de rentrées d’argent. » Ses arbres fruitiers souffrent également en l’absence d’irrigation.
 Très vite les éleveurs devront piocher dans leurs stocks d’hiver pour aller nourrir les bêtes au pré. À l’heure du bilan dans l’Ain en juillet, les éleveurs sont très inquiets. Dans le cadre du « plan paille » mis en place par la FNSEA, un partenariat se noue alors avec les céréaliers de Seine-et-Marne. « Par dizaines les agriculteurs sont partis, avec leur matériel pour botteler, presser, charger et ramener le fourrage en Bresse, en Dombes et dans la montagne. Il faut se souvenir que le département comptait alors 11 000 agriculteurs contre 3 000 aujourd’hui. On ne manquait pas de bras ! Au niveau humain, cette expérience de solidarité a été très riche. Les relations avec les céréaliers de Seine-et-Marne ont duré pendant de longues années », témoigne Jean Merle.
Dans le Rhône, les éleveurs en appellent d’abord aux céréaliers du département pour trouver de la paille. Devant l’insuffisance des volumes, des chantiers s’ouvrent dans le Gard et dans le Loiret. L’armée aide les agriculteurs à mettre la paille en wagon. Le foin lui est acheminé du Sud de la France, le fameux foin de Crau, pour les besoins les plus urgents. Pour trouver d’autres volumes, le conseiller général René Trégouët organise un voyage en Yougoslavie mais les tractations semblent achopper sur le prix.
Nouvellement élu à la présidence de la chambre d’agriculture de l’Ardèche et encore président de la FDSEA, Gilbert Louis, arboriculteur à Saint-Fortunatsur-Eyrieux, se souvient aussi de l’organisation de la solidarité. « Des convois militaires traversaient la vallée de l’Eyrieux afin d’acheminer le fourrage vers les secteurs de Saint-Agrève et du plateau. » L’État avait accordé une aide de 40 % pour l’acheminement de fourrages au-delà de 100 km. La SNCF, elle, consentait à un rabais de 15 %. Mais depuis trois ans, le département est privé du transport ferroviaire de passagers et les lignes secondaires, qui desservaient autrefois les territoires enclavés, sont hors service depuis longtemps, même pour le fret. « Les syndicats locaux faisaient remonter les besoins, cela a d’ailleurs permis d’en revivifier certains, un peu en sommeil. Des techniciens de la chambre, de l’Adasea, mais aussi de l’Ardéchoise et d’autres coopératives étaient sur les lieux pour coordonner les opérations. En Ardèche, il me semble que la mise à disposition de véhicules de l’armée s’était faite gratuitement. Certains agriculteurs prêtaient aussi leur tracteur et le conseil général avait financé le recours à des transporteurs privés », raconte Gilbert Louis.
La pluie en Ardèche est revenue le 29 août. « Là, il a fallu semer les maïs, sorgho… Mais il ne s’arrêtait plus de pleuvoir. Quand il a fallu ensiler ce que nous avions planté en septembre, les épandeurs s’embourbaient », reprend Julien Berne. Pour Gilbert Louis, l’épisode a marqué un tournant : « Cela a provoqué la réflexion autour du stockage de l’eau, même si à l’époque l’irrigation n’était pas aussi contrainte qu’aujourd’hui. Au niveau de la chambre, l’objectif de mille lacs collinaires avait même été lancé ». Dans l’Ain, la pluie est finalement arrivée début septembre. Pied de nez de l’histoire, lors de la finale du concours de labour à Sandrans, des trombes d’eaux s’abattent et les voitures garées dans un pré se retrouveront embourbées. L’année se termine mieux qu’elle n’a commencé. « Nous avons fait une bonne arrière-saison. Nous avons pu semer et récolter des cultures dérobées pour passer l’hiver et nourrir les troupeaux », note Jean Merle.
 Le gouvernement a lui décidé de mettre en place un impôt sécheresse pour soutenir les agriculteurs, « mais il s’est révélé très impopulaire. Ce fut une mauvaise affaire, psychologiquement et politiquement. On se l’est fait reprocher pendant longtemps », regrette le président de la FDSEA de l’Ain. « Moi je soutenais plutôt l’idée de renforcer le fonds des calamités, rappelle Gilbert Louis. La population n’a pas compris cette décision gouvernementale et l’agriculture en a, d’une certaine façon, payé le prix. »
 
TR et DB