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Viande bovine

« Ne rien attendre des autres»

La présence dans la Loire de Jean-Pierre Fleury, président de la Fédération nationale bovine, mercredi 26 octobre, a été l’occasion d’aborder avec les éleveurs allaitants de la FDSEA et de JA Loire les difficultés de la filière viande bovine et ses perspectives.
« Ne rien attendre des autres»

A l’initiative de la section viande bovine de la FDSEA et du groupe viande JA Loire, une réunion s’est tenue à Mably en présence du président de la FNB. Un rapide point a été fait sur l’évolution récente de la conjoncture viande bovine, et les actions syndicales qui en ont découlé. « En 2013, les cours de la viande bovine s’étaient améliorés, puis la conjoncture s’est rapidement dégradée, rappelait François Garrivier, président de la section viande bovine départementale. Alors que le prix des animaux payés en ferme baissait, le prix à la vente au consommateur augmentait. C’est pour cela que le syndicalisme a décidé de bloquer des abattoirs, en juin 2015 ». S’en est suivie une réunion au ministère de l’Agriculture le 17 juin, au cours de laquelle les transformateurs et les distributeurs s’étaient engagés à revaloriser rapidement les prix payés aux producteurs. « A l’automne, le constat a été que les augmentations promises n’étaient pas au rendez-vous. Des éléments de marchés étaient venus se greffer à la situation déjà compliquée : conjoncture internationale, crise du secteur laitier. A l’hiver 2015-2016, nous nous sommes retrouvés dans une situation où la lisibilité pour les éleveurs était limitée. Tout le monde a tiré la sonnette d’alarme. Il est impossible de rester dans une situation où, dans les rayons des grandes surfaces, il n’y a pas de différence entre la viande issue d’animaux allaitants et celle d’animaux laitiers. C’est ce qui a amené la FNB à engager le dialogue avec la grande distribution pour que les races à viande soient au cœur d’une vraie stratégie de revalorisation et que le prix soit responsable».

Jean-Pierre Fleury apportait la preuve par les chiffres et les courbes de cette évolution de situation. « Depuis la crise de la vache folle en 2001, le prix d’achat au producteur ne cesse de baisser, alors que les coûts de production augmentent. Et dans le même temps, le prix de vente au consommateur augmente ». Les courbes mettent en évidence que le prix en ferme se rapproche des cours pratiqués en période de vache folle. « Il y a une conjonction d’événements qui amène à une situation difficile, à un désespoir ».

Le président de la FNB pointait du doigt quelques-uns des facteurs qui compliquent encore plus la situation. « Pour compenser la baisse des prix, les éleveurs ont augmenté le nombre de vaches dans leur troupeau. C’est un réflexe naturel de compétitivité. On a comptabilisé +120 000 vaches allaitantes en France. Mais les animaux produits n’ont pas de marché». Un décalage de la période des naissances est également à prendre en compte : « Il y a plus de broutards qui sortent, et plus tôt que d’habitude. Ils représentent l’équivalent d’un mois d’exportation ». De plus, des vaches laitières de réforme se retrouvent en plus grand nombre sur le marché.

Comme dans d’autres productions, la France cherche à se positionner sur les marchés chinois pour la viande bovine. « Pour pouvoir exporter en Chine, il faut que 17 ans se soient écoulés depuis le dernier cas d’ESB. Ce délai a été atteint l’année passée. Mais les services de l’Etat n’ont plus le savoir-faire pour exporter vers ce pays… » Jean-Pierre Fleury ajoutait : « Il existe des marchés, mais le problème est de pouvoir les capter. Pour ceci, tous les opérateurs doivent aller dans le même sens ». La FCO représente également un frein pour l’exportation. « Il existe des protocoles d’accord avec certains pays, où la France peut exporter, mais pas avec d’autres, comme par exemple la Turquie ». Concrètement, « il n’y a pas de problématique sanitaire avec la Turquie, mais bien un problème politique. Phil Hogan, le commissaire européen à l’Agriculture, s’y rendra début décembre ».

 

« Ne pas rester inactif »

Face à cette situation de crise structurelle, «le syndicalisme ne peut pas rester inactif », intervenait Jean-Pierre Fleury. La stratégie globale de la FNB est de segmenter le marché national, pour conquérir de la valeur ; de développer l’export, qui représente 15% des débouchés ; de travailler avec la restauration hors foyer, qui représente 19% des débouchés et qui utilise 70% de viande d’importation ; de travailler avec la grande distribution, qui représente 54% des débouchés. C’est dans cette logique de segmentation du marché et de travail avec la grande distribution que la FNB a construit sa démarche Cœur de gamme (lire encadré).

Pour François Garrivier, « c’est un ensemble de mesures et d’initiatives qui feront que les éleveurs retrouveront de la lisibilité. Il nous faut par exemple continuer à travailler sur l’approvisionnement de la restauration hors foyer. C’est ce débouché qui permettrait d’écouler les vaches laitières ». Jean-Pierre Fleury de compléter : « La FNB demande aussi que l’Union européenne organise une aide humanitaire, qui permettrait d’écouler des vaches laitières, pour assainir le marché » et donc favoriser la viande issue d’animaux allaitants.

François Garrivier retenait « qu’il ne faut rien attendre des autres. C’est à nous, éleveurs, de porter nos valeurs. Ce que nous obtiendrons, c’est ce que nous serons allés chercher ».

 

 Lucie Grolleau Frécon

 

 

 

Cœur de gamme : une démarche unique s’appuyant sur le coût de production

 
Le président de la Fédération nationale bovine, présent mercredi dans notre département, a permis de faire un point précis sur la démarche Cœur de gamme. Pour l'initier, la FNB est partie du constat que de plus en plus, dans les rayons boucherie de la grande distribution, les viandes allaitantes et laitières sont indifférenciées. C’est pour cela qu’elle propose de positionner entre les viandes « entrée de gamme » et les viandes « premium » (Agriculture biologique, label, local) le cœur de gamme, qui doit être synonyme de création de valeur pour l’éleveur. La FNB estime que le modèle actuel de « gestion de flux poussé » ne fonctionne plus, car il ne permet pas de construire de la valeur. Elle propose donc d’aller vers un « flux tiré », avec une adaptation de l’offre à la demande, qui doit conduire à une création de valeur. « Ceci ne peut fonctionner uniquement parce que nous sommes sur le marché national, avec des femelles, sans concurrence de l’importation », insistait Jean-Pierre Fleury, président de la FNB.
Jean-Pierre Fleury a expliqué que la Coeur de gamme doit être synonyme de création de valeur pour l’éleveur.
Avec le Cœur de gamme, l’objectif est d’avoir « de nouvelles relations commerciales entre les éleveurs et les distributeurs. L’éleveur s’engage sur la qualité et le distributeur sur le prix payé au producteur ». Autre objectif de la démarche : que le prix soit déconnecté des cotations, « qui sont actuellement construites dans un rapport de force », et bien que le prix soit construit sur une logique d’adéquation entre offre et demande « pour que le prix soit rémunérateur pour l’éleveur ». Ainsi, la FNB propose que le prix soit fixé en fonction du coût de production (indicateurs de coût de production public) et non pas d’une grille de cotations.
Le cahier des charges de la démarche Cœur de gamme est le fruit d’une réflexion interprofessionnelle. L’enseigne de la grande distribution s’engage à mettre en place un cœur de gamme de races allaitantes qui représente, en part de marché, 50% minimum du rayon boucherie. Elle s’engage à s’approvisionner pour ce cœur de gamme en viandes issues de bovins en provenance d’élevages engagés dans la Charte des bonnes pratiques d’élevage, à utiliser l’identifiant de ce Cœur de gamme (logo et nom) et à apposer le logo Viande bovine de France, à respecter les délais de maturation (10 jours). Des critères d’âge, de poids de carcasse par race, de conformation, d’état d’engraissement sont spécifiés dans le cahier des charges. La GMS s’engage aussi, dans le cadre de la contractualisation, à assurer une valorisation du produit permettant de couvrir les coûts de production en élevage et assurer une juste rémunération.
Les responsables de la FNB ont pris leur bâton de pèlerin pour aller à la rencontre des responsables des groupes de distribution pour leur présenter la démarche Cœur de gamme et les inciter à y adhérer. Les éleveurs du réseau FNSEA/JA les ont aidés en conduisant des actions contre notamment l’enseigne Carrefour. Ainsi, Système U s’est engagé le 1er juin, Carrefour le 7 septembre, E. Leclerc le 14 septembre, Intermarché (et SVA) le 28 septembre, Lidl le 18 octobre. Casino est en instance de signature, Cora est en discussion et Auchan n’a pas signé. Chaque enseigne a ou doit signer un contrat avec ses opérateurs commerciaux.
Certaines enseignes ont déjà mis en place le Cœur de gamme dans leurs magasins. Mais la démarche en est à sa phase de début de mise en œuvre. « Il faut que chacun trouve ses marques, insistait François Garrivier, responsable de la section viande bovine de la FDSEA. C’est la première fois que se met en place une démarche nationale basée sur le coût de production». Le questionnement des éleveurs présents dans la salle « est légitime ». « C’est encore un peu tôt pour les éleveurs de se rendre compte du bien fondé de la démarche puisque les compléments de prix ne sont pas encore arrivés sur les exploitations. Mais une chose est sûre, c’est que cette démarche ne fonctionnera que si nous nous engageons tous pour la défendre. Et il ne faut pas oublier que tout complément de prix est bon à prendre, vu la conjoncture ».
Puisque l’enjeu du Cœur de gamme est bien la redescente de valeur jusqu’au producteur, une association est sur le point d’être créé pour suivre la mise en place de la démarche. « Elle aura le mandat des enseignes pour vérifier que l’argent arrive bien jusqu’à l’éleveur. L’acheteur doit être en mesure de dire à l’éleveur si son animal est passé ou non, en totalité ou en partie, en Cœur de gamme. Aux éleveurs aussi de se prendre en main pour aller chercher l’information si elle ne lui arrive pas », indiquait Jean-Pierre Fleury. Les sections bovines des FDSEA ont également leur rôle à jouer pour la redescente de valeur et la consolidation de l’accord. Les responsables disposent des listes des animaux passés en Cœur de gamme et peuvent vérifier, par sondage, si les éleveurs concernés ont bien été payés en conséquence. Ils sont également en relation permanente avec les responsables de magasins pour faire le point sur la mise en place. « Le syndicalisme ne devra pas hésiter à informer les consommateurs sur les magasins qui respectent, ou pas, la démarche », précisait Jean-Pierre Fleury.
 
Lucie Grolleau Frécon