Famille de Poncins
Le comice, « une émulation d’éleveurs »

C’est en 1884 qu’Emmanuel de Poncinc créé le comice de Feurs. A l’origine, le marquis lance cet événement pour répondre à la crise agricole que traversait le département à cette époque. L’un de ses héritiers, Henry de Poncins, commente 140 ans d’évolution de la manifestation.

 Le comice, « une émulation d’éleveurs »
Lors du comice des 28, 29 et 30 mars 1954, le marquis de Poncins montre avec sa canne des animaux gras à Monsieur Rastouin, chef de cabinet du ministre de l’Agriculture. Photo d'archive fournie par la famille de Poncins

Le nom des de Poncins et celui du comice de Feurs sont intimement imbriqués puisque les premiers sont à l’origine du second. Dès le XVIIIe siècle, Jean-Hector de Poncins engage une réflexion pour sortir de la crise agricole que rencontre le pays. «  Les hivers étaient froids, les cultures pourries, la famine, installée. La plaine du Forez était une zone marécageuse, où la fièvre jaune était très présente. Les personnes en charge de la filière agricole se devaient de trouver des solutions », résume Henry de Poncins, l’un des héritiers de la famille. Las, la Révolution française va en décider autrement.

Ce n’est qu’en 1884, presque un siècle après les premières idées, qu’Emmanuel de Poncins crée le comice. L’homme, marié à une demoiselle de Fenouillet, va réinvestir la fortune acquise avec l’exploitation des mines de Sainte-Foy-l’Argentière dans les réformes agricoles et lance l’événement forézien. « A l’époque, il n’y avait même pas de lieu dédié à la foire, relate Henry de Poncins. Ce n’est que plus tard qu’on a acheté et investi les écuries et les bâtiments qu’on connaît toujours aujourd’hui. » 


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Quand naît l’événement, l’élevage et les croisements génétiques n’en sont qu’à leurs balbutiements. « C’était une émulation d’éleveurs qui voulaient créer le meilleur animal possible. Les concours étaient là pour les récompenser. Même si, à l’époque, on était bien loin des bêtes qui sont présentées aujourd’hui ! » Henry de Poncins tend alors une photographie tirée des archives : les jeunes taureaux paraissent presque frêles pour des yeux habitués aux concours du XXIè siècle... 

Un « conservatoire des techniques agricoles »

Dans la maison familiale de Saint-Cyr-les-Vignes, une coupe arbore les nombreux noms d’animaux élevés par les de Poncins et récompensés lors du concours forézien. L’ancêtre de notre interlocuteur, tout comme lui, se passionnait pour les chevaux. « On a fait avec les vaches ce qu’on a fait avec eux. Au début, les trotteurs devaient également servir à la ferme. Aussi, on a ‘’fait’’ des purs-sangs qui étaient capables de tirer des charrues. » On importe alors des vaches Durhams du Royaume-Uni que les éleveurs croisent avec des Charolais. De nouveaux animaux sont créés, avec de nouvelles qualités. Les concours sont mis en place pour récompenser les meilleurs producteurs, la meilleure viande... « On allait du côté du progrès. Il faut bien se dire qu’à cette époque, la plupart des éleveurs savent à peine lire et écrire. Le comice, c’est un outil de pédagogie, d’émulation. » Depuis, l’agriculture a évolué et les bêtes en compétition ne sont plus les mêmes. « Par rapport à sa vocation originelle, le comice doit rester le conservatoire des techniques agricoles. » 


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Si le comice a contribué au développement agro-économique du département, sa dimension sociale n’est pas à négliger. « Dans les année 1920, à la sortie de la guerre, on s’intéresse aux conditions de vie des garçons de ferme pour les améliorer. Et un concours naît de cette idée : une commission se déplace de ferme en ferme. On se rend compte que des garçons de ferme dorment toujours dans la paille... »

« On ne pouvait pas imaginer faire carrière sans venir au comice »

Pour l’héritier d’Emmanuel de Poncins, le comice a aussi une valeur pédagogique. Il prend pour exemple la famille Dosson, dont l’implication dans l’agriculture ligérienne et le développement du comice ne sont plus à prouver. « Aujourd’hui, si Pierre Dosson demande un pavé de bœuf limousine au restaurant et qu’on lui sert du charolais, je suis sûr qu’il pourra faire la différence. Mais une personne lambda ? Il faudrait qu’on goûte la viande comme on goûte un grand cru. » Ils lui paraissent déjà exister à une échelle mondiale : le bœuf de Kobé ou le bœuf Angus sont les premiers noms qui lui viennent à l’esprit. « La question c’est de savoir si nous aussi, en France, on peut produire un de ces grands crus ? » 


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Éduquer son palais, exigerait que le consommateur prenne conscience de tout ce qu’un label implique, notamment le respect de l’animal, une valeur prônée au comice. « Les animaux de l’étranger sont-ils abattus de la même façon, et avec le même respect, que ceux de nos fermes ? s’interroge Henry de Poncins. On voit bien que les enjeux de société changent, que le contexte évolue : le rapport nature / consommation se complexifie, mais les gens sont curieux : il n’y a qu’à voir le nombre de visiteurs au comice, c’est un vrai engouement. » 

Le public n’a jamais désavoué la foire forézienne. Si l’événement a été interrompu lors des grandes guerres du XXe siècle, il attire toujours les foules. « Le comice, c’est une vitrine », résume Henry de Poncins. Son impact politique a longtemps résonné dans le département. « En 1984, pour le centenaire, la question agricole était au centre des préoccupations. Les hommes politiques étaient là et tenaient davantage des discours de politique agricole plutôt que des discours de remerciements. On débattait, on avait une opinion. » Notre homme pousse plus loin son analyse. « On ne pouvait pas imaginer faire carrière sans venir au comice », lâche-t-il. 

« La vache du comice est une vedette »

C’est aussi un lieu économique, un événement où l’on vient pour vendre ou acheter des animaux. Dans les années 1980/1990, les acheteurs revendaient plutôt dans le Sud, où les clients étaient plus fortunés. Aujourd’hui, une plaque du comice, c’est une marque à laquelle les consommateurs se fient. Davantage même qu’au produit lui-même. « Quand on achète, on achète quelque chose qui nous fait plaisir émotionnellement. Alors il faut que la vache du comice, qui est une vedette, soit valorisée. Les grandes enseignes le savent, elles viennent pour la plaque. Cette dernière reste dans la boucherie ou le magasin longtemps après que la vache a été mangée. »


Edition 2023 : le comice en images


Si l’événement est l’occasion de faire de l’argent, Henry de Poncins veut alerter : « Quand les acheteurs vont au comice, ils sont prêts à payer leur viande plus cher, pour tout ce que le comice véhicule (qualité, respect de l’animal, juste rémunération d’un éleveur...). L’acheteur est donc prêt à faire un effort ponctuellement. Mais est-ce suffisant pour stabiliser la filière ? », s’interroge notre homme. « Quand on va aux Hospices de Beaune, on n’y va pas pour faire plaisir aux agriculteurs, mais parce que le produit qu’on veut acheter a une certaine valeur. N’est pas possible d’imaginer faire la même chose avec la viande et que le comice de Feurs soit à la viande ce que les Hospices sont au vin ? » 

Alexandra Pacrot