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Histoire

Saint-Just-Saint-Rambert, une terre maraîchère historique

Agriculteur à la retraite, Albert Delimard a consacré toute sa vie au maraîchage puisqu’il en avait fait son métier. En passionné, il fait part de l’évolution du contexte et des pratiques sur territoire de Saint-Just-Saint-Rambert.

Par Lucie Grolleau-Frécon, d’après Albert Delimard
Saint-Just-Saint-Rambert, une terre maraîchère historique
Jusqu’en 1965, seules les parcelles situées au-dessous du niveau du canal étaient irriguées car il n’y avait pas de station de pompage. L’eau arrivait dans les parcelles par des raies et remontait dans la terre par capillarité. Photo fournie par Albert Delimard

Il est loin le temps où l’on cultivait la terre essentiellement pour l’autoconsommation. L’évolution des cultures maraîchères à Saint-Just-Saint-Rambert en est la parfaite illustration. « Encore entre les deux guerres, mon grand-père cultivait 3 à 4 ha, en grande partie composée de prés marécageux. C’était une exploitation de taille moyenne pour l’époque, dont le siège était une maison située en plein centre-ville », racontait Albert Delimard lors de l’assemblée générale de l’Amoma (Association des médaillés de l’ordre du mérite agricole) Loire le 14 mai à Chambles. Maraîcher à la retraite, il avait été invité par les responsables de ce collectif à relater l’histoire du maraîchage sur ce territoire. Engagé et passionné, il s’était mué en un conférencier hors-pair et avait su captiver son auditoire.

Son grand-père élevait quatre vaches pour le lait, qu’il vendait dans le voisinage. Il fabriquait également du beurre. Il avait aussi deux cochons, quelques poules, une dizaine de lapins et un cheval pour les travaux agricoles et le transport.

Dans les années 1950, la ferme familiale produisait environ 10 000 litres de vin par an et 80 litres d’eau-de-vie. « À cette époque, les vignes occupaient une place importante dans la commune. Sur les rangs de vigne, on trouvait des arbres fruitiers, surtout des pêchers. Les rangs étaient larges, ce qui permettait de cultiver entre eux des légumes et des plantes fourragères destinées aux agriculteurs des montagnes alentour. » La production de légumes était une spécificité de Saint-Rambert, située sur la rive gauche du fleuve Loire, en raison de son relief. Il faut savoir que Saint-Just et Saint-Rambert sont devenues une seule et même commune en 1973.

Proximité des consommateurs et canal du Forez

Pour Albert Delimard, deux facteurs ont permis le développement de la culture légumière : « la proximité de Saint-Étienne, foyer de consommation, et surtout la possibilité d’irriguer à partir du canal du Forez. Actée en 1863, la branche principale du canal s’est concrétisée dès 1869 à Saint-Rambert, elle conduisait l’eau jusqu’à Sury-le-Comtal. Elle a été complétée par un vaste réseau de rigoles. Quinze ans plus tard, l’eau a enfin atteint chaque parcelle des souscripteurs ! » Le retraité poursuivait : « Les débuts ont été timides, les maraîchers attendaient de voir. A cette époque, les statistiques ne recensaient pas encore les légumes. Mais les registres de 1902 ont mis en évidence qu’il s’en cultivait déjà 95 hectares. En 24 ans, la surface légumière est passée de quelques hectares à près d’une centaine. »

A noter que seules les parcelles situées au-dessous du niveau du canal étaient irriguées car il n’y avait pas de station de pompage. L’eau arrivait dans les parcelles par des raies. L’irrigation par aspersion est arrivée en 1965 avec l’installation de la station de pompage de Monjonier, puis elle s’est étendue en 1973 par l’Asa de Saint-Rambert. Les surfaces irrigables ont alors été multipliées par cinq.

En 1909, les exploitants agricoles se sont regroupés au sein du Syndicat des jardiniers maraîchers de Saint-Rambert. Puis, en 1912, une coopérative a vu le jour et une halle sur la place du marché a été construite. « L’ambition était d’organiser un marché de gros. Ce projet a échoué, mais il témoigne déjà d’une volonté de structuration et de modernisation. »

L'histoire du maraîchage en photo

Jusqu’en 1965, seules les parcelles situées au-dessous du niveau du canal étaient irriguées car il n’y avait pas de station de pompage. L’eau arrivait dans les parcelles par des raies et remontait dans la terre par capillarité. Photo fournie par Albert Delimard
Jusqu’à la Seconde guerre mondiale, les producteurs partaient de nuit avec des jardinières - des charrettes tirées par des chevaux - ou collectivement avec le car pour vendre leurs légumes à Saint-Étienne. Photo fournie par Albert Delimard
Les machines spécialisées se sont déployées : planteuses et bineuses dans les années 1970, récolteuses de carottes et poireaux au cours de la décennie suivante, récolteuses de haricots dans les années 1990, et les premières machines à récolter la salade en 2019. Ici plantation de salades en 1971. Photo fournie par Albert Delimard
Entre les deux guerres, à Saint-Rambert, la culture phare était le haricot. Photo fournie par Albert Delimard
Les producteurs partaient de nuit avec des charrettes tirées par des chevaux ou collectivement avec le car auquel était attelée un remorque contenant les légumes pour vendre leurs légumes au marché de Chavanelle, à Saint-Étienne. Photo fournie par Albert Delimard
En 1909, les exploitants agricoles se sont regroupés au sein du Syndicat des jardiniers maraîchers de Saint-Rambert. Puis, en 1912, une coopérative a vu le jour et une halle sur la place du marché a été construite. Photo fournie par Albert Delimard
Alors que la culture phare était les haricots, la production de plants maraîchers s’est progressivement développée en raison de la demande en montagne, d’autant plus que les sols sableux permettaient une levée facile des graines et que le climat doux de Saint-Rambert assurait un démarrage précoce de la végétation. Photo fournie par Albert Delimard

Jusqu’à la Seconde guerre mondiale, « les méthodes sont restées artisanales, commentait Albert Delimard. Les producteurs partaient de nuit avec des jardinières - des charrettes tirées par des chevaux - ou collectivement avec le car pour vendre leurs légumes au marché de Chavanelle, à Saint-Étienne. Mon grand-père a acheté une voiture en 1926. » La culture phare était les haricots. Progressivement, la production de plants maraîchers s’est développée en raison de la demande en montagne, d’autant plus que les sols sableux permettaient une levée facile des graines et que le climat doux de Saint-Rambert assurait un démarrage précoce de la végétation.

La mécanisation, véritable tournant

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, la mécanisation a fait prendre un tournant au maraîchage. Le plan Marshall a favorisé l’arrivée des tracteurs. « Le tout premier est un Fordson gris, en 1946. » L’utilisation des produits phytosanitaires, notamment les désherbants, et la « normalisation » des légumes (calibrage, conditionnement et emballages standardisés) ont entraîné la disparition de nombreux petits producteurs. « Il devenait indispensable de se professionnaliser pour survivre dans ce métier », commentait l’agriculteur retraité.

Il poursuivait sur le développement du maraîchage : « Les premières serres en verre sont apparues à la fin des années 1960. Les tunnels plastiques se sont ensuite généralisés. Les machines spécialisées se sont déployées : planteuses et bineuses dans les années 1970, récolteuses de carottes et poireaux au cours de la décennie suivante, récolteuses de haricots dans les années 1990, et les premières machines à récolter la salade en 2019. Ces innovations ont permis l’agrandissement des exploitations et une nette amélioration de la productivité. En parallèle, le nombre de maraîchers a chuté drastiquement. »

Saint-Rambert ne compte plus que quelques exploitations maraîchères, mais « certaines sont à la pointe du progrès ». Albert Delimard est convaincu que « le maraîchage a encore un bel avenir. Ce territoire offre une réelle opportunité. De nombreuses parcelles aujourd’hui classées par l’administration en zone agricole protégée restent incultes. Pourtant, ces terres sont irrigables et n’attendent que de nouveaux exploitants. Peut-être reste-t-il des efforts à faire pour favoriser leur installation et les accompagner. Il en va de notre indépendance alimentaire et de la qualité de ce que nous mangerons demain. »

« S’intégrer dans la nature »

Celui qui s’est lancé dans ce métier sans diplôme mais qui estime s’y être épanoui, s’est pris de passion pour la lutte intégrée. « Cette méthode consiste à introduire dans les serres des insectes prédateurs - comme les coccinelles - pour contrôler les nuisibles, sans recourir aux pesticides. C’est un système très efficace, mais complexe à mettre en œuvre. Il faut prendre en compte de nombreux facteurs pour préserver l’équilibre entre ravageurs et auxiliaires. Grâce à cette approche, j’ai découvert la biodiversité fonctionnelle : comprendre comment la nature agit et comment nous devons nous y intégrer, et non la dominer. »

L'info en +

Une exposition et un livre pour en apprendre plus

Le musée des civilisations Daniel Pouget de Saint-Just-Saint-Rambert accueille une exposition temporaire intitulée « Le maraîchage, une culture locale ». Elle est ouverte au public jusqu’au 5 janvier 2026, du mercredi au dimanche de 14 à 18 heures. A noter que l’exposition permanente présente des collections issues d’Asie, d’Afrique, d’Océanie et d’Amérique, mais aussi de nombreux objets liés à l’histoire du Forez. Lire ici

Lionel Ollier, professeur d’italien et membre de l’association Mémoire et patrimoine, a consacré une enquête sur l’histoire du maraîchage sur le secteur de Saint-Just-Saint-Rambert. Ce travail a contribué à la conception de cette exposition. Il a aussi permis d’éditer un livre Les maraîchers de Saint-Rambert, que l’on peut se procurer via l’association Mémoire et patrimoine de Saint-Just-Saint-Rambert : Maison du Forez, 7 Rue Chappelle ; Tél. : 04.77.52.08.97 ; permanences les mardis et jeudis de 10 heures à midi ; memoire.patrimoine42@gmail.com ; www.memoire-patrimoine42.com