Adeline Trouche
« Être une femme ne m’a pas porté préjudice »

Avec son accent chantant et son sourire communicatif, cette Gersoise d’origine a su faire sa place dans la Loire. Elle élève une troupe de 400 brebis allaitantes sur la commune de Neaux. Son conjoint, tondeur, la soutient au quotidien et devrait la rejoindre prochainement sur l’exploitation. Portrait de cette jeune agricultrice, qui a trouvé le bon équilibre entre vie professionnelle et vie de famille.

« Être une femme ne m’a pas porté préjudice »
Adeline Trouche, installée à Neaux en élevage ovin. ©Clara Serrano

Alors que de nombreux préjugés persistent sur les difficultés rencontrées par les femmes dans leur installation, Adeline Trouche souligne qu’elle n’a pas été concernée. Malgré son parcours particulier, la jeune agricultrice explique : « Bien sûr, ce sont des années difficiles, dès la préparation et même après. Cependant je ne pense pas que le fait d’être une femme ait joué en ma défaveur. »

En effet, après avoir obtenu son Brevet professionnel de responsable d’entreprise agricole, la jeune femme a su saisir l’opportunité d’un départ à la retraite sur la commune de Neaux. Par chance, les terres voisines à l’exploitation transmise étaient également en vente. L’occasion idéale pour la Gersoise de se lancer. Jusque-là, son genre ne lui posait pas de problème. Elle a d’ailleurs mis en place quelques aménagements pour faciliter son quotidien et alléger la pénibilité du travail. Elle a également appris à travailler avec un chien de troupeau et souligne : « Je me suis également musclée bien sûr. La brebis est bien plus maniable qu’une vache, c’est vrai. Malgré tout, cela reste un métier physique. » Et d’ajouter en souriant : « Je connais d’ailleurs très peu d’éleveurs ovins en surpoids ! » Enfin, elle fait régulièrement appel à une entreprise extérieure pour les travaux nécessitant l’utilisation d’un tracteur : « D’abord, je n’aime pas vraiment conduire un tracteur. Et puis je suis sûre que finalement, c’est rentable pour nous car nous gagnons du temps et de l’énergie, mais aussi nous n’avons pas eu besoin d’investir dans un véhicule très couteux, etc. »

Ainsi, Adeline soutient : « Je ne me considère pas du tout comme un précurseur. Les femmes ont toujours été impliquées dans l’agriculture et je ne suis pas la première à m’installer. Par exemple, la dame, à qui nos terres appartenaient auparavant, a 70 ans et, à l’époque, elle s’était déjà installée seule. Je pense que cela avait été bien plus difficile pour elle que pour moi ! » Et de poursuivre : « En revanche, je pense en effet que le nombre de femmes installées augmente. Elles sont ainsi plus visibles aujourd’hui, bien qu’elles aient toujours eu selon moi un rôle important sur les exploitations, en portant main forte à leur mari par exemple. Elles n’intervenaient cependant pas souvent dans les prises de décision importantes. »

Peu de responsabilités

Les études statistiques de la Mutualité sociale agricole (MSA) confirment en effet les dires de l’éleveuse puisqu’en 2021, selon l’organisme, près d’un quart des chefs d’exploitation étaient des femmes (26,2 %). Cependant, l’analyse de ces chiffres montrent une autre réalité : elles sont seulement 5,1 % à diriger des entreprises agricoles. L’examen plus approfondi de ces chiffres montre notamment qu’une femme sur dix reprend la tête de l’exploitation ou de l’entreprise agricole lors du départ à la retraite du conjoint. Enfin, on remarque une surreprésentation des femmes dans les filières d’élevage hors bovins, en particulier dans l’élevage de chevaux. À l’inverse, leur présence est très limitée dans les exploitations de bois (1,5 %), les entreprises paysagistes (3,8 %), les scieries fixes (4,8 %) et relativement faible dans la sylviculture (10,5 %) et les entreprises de travaux agricoles (9,9 %).

Enfin, Adeline Trouche conclut : « C’est vrai qu’il m’est parfois arrivé de rencontrer des difficultés, par exemple face à des commerciaux qui ne souhaitent négocier qu’avec mon conjoint alors qu’il n’est pas installé ou encore avec des voisins qui pensent parfois en savoir plus que moi. Mais, avec le temps, j’ai appris qu’il fallait faire comme les autres, c’est-à-dire faire comme si je savais tout, tout le temps, même si ce n’est pas toujours le cas. Et cela fonctionne. »

Un projet familial

Bien qu’elle soit installée individuellement, Adeline considère son aventure comme un projet de vie familial. En effet, son compagnon Charly devrait la rejoindre très prochainement sur l’exploitation et leur enfant y passe beaucoup de temps. Elle souhaite lier ces deux aspects de sa vie : professionnel et familial. Il s’agit pour elle de la meilleure organisation qu’elle ait trouvée, lui permettant de s’occuper de sa famille mais aussi de ses animaux, en gardant la passion de son métier. Elle confie par ailleurs être comblée par sa situation, à tel point qu’elle a fortement réduit ses loisirs extérieurs sans que cela ne l’attriste.

Clara Serrano

De mission impossible à réalité
Malgré un parcours atypique, Adeline Trouche a su réaliser son projet : être agricultrice. ©Clara Serrano
Installation

De mission impossible à réalité

Retour sur le parcours professionnel d’Adeline Trouche, de ses stages d’immersion dans la coopération internationale à son installation en 2021 comme éleveuse ovine.

Issue d’une famille gersoise non agricole, Adeline Trouche s’est installée dans la Loire il y a déjà plusieurs années. Lors de ses études supérieures, la jeune femme avait pour objectif de travailler dans la coopération internationale au sein d’Organisations non gouvernementales (ONG), en lien avec l’agriculture : « Je voulais être utile, j’avais une vision un peu idéaliste et je pensais que c’était la meilleure manière d’agir. Puis, lors de stages en immersion, je me suis rendu compte que ma place n’était pas là et qu’il y avait déjà beaucoup de choses à entreprendre sur notre propre territoire. » C’est alors qu’elle a intégré Jeunes agriculteurs (JA) Loire. Puis elle a rencontré Charly, tondeur de moutons devenu aujourd’hui son compagnon : « Nous avons décidé ensemble de nous installer. Seule, je ne l’aurais pas fait. C’était inenvisageable pour moi », confie Adeline.

N'ayant pas fait d’études spécifiques, la jeune femme souhaitait créer sa propre exploitation mais ne s’en sentait pas capable. Ainsi, après avoir longuement réfléchi au projet avec Charly, Adeline a suivi un Brevet professionnel de responsable d'entreprise agricole (BP REA) en Isère, dans un centre de formation disposant d’un troupeau de brebis mérinos transhumant. « Cela correspondait à notre objectif initial d’avoir un troupeau transhumant et de produire de la laine. Finalement, cet aspect a été avorté mais pas notre envie d’élever des brebis. »

Adeline s’est donc installée à Neaux en décembre 2021, succédant à un agriculteur souhaitant partir à la retraite, alors que Charly poursuit son activité de tondeur de moutons dans la Loire. À terme, ils ont pour objectif d’unir leurs forces et de travailler conjointement et à temps complet sur l’exploitation avec un total de 500 brebis. Pour l’heure, la jeune femme en élève 400 seule. Un projet qui n’a pas été mis en suspend par l’arrivée de leur fils en juillet 2021.