Table-ronde
L’agriculture au service de la décarbonation

Le ministère de l’Agriculture a organisé, le 31 janvier, une table-ronde consacrée à l’agriculture et au carbone. Les agriculteurs peuvent contribuer à l’objectif très ambitieux de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) : atteindre la neutralité carbone en 2050.

L’agriculture au service de la décarbonation
Au cours de la table ronde, le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, a plaidé pour « acheter des crédits carbone français ». Crédit photo : Xavier Remongin, agriculture.gouv.fr

« Le rôle de l’agriculture puits de carbone naturel dans la décarbonation de l’économie ». Comment faire ? Avec quelles incitations et quels financements ? Chacun des intervenants à la table ronde organisée en début de semaine par le ministère de l’Agriculture s’accorde à reconnaître le rôle des sols comme primordial, tant dans la réduction des émissions de carbone et de gaz à effet de serre que dans la nécessaire compensation qui doit être liée. Les solutions commencent à être connues. « Il faut réduire les intrants pour diminuer le protoxyde d’azote et introduire des cultures à faible besoin d’azote comme les légumineuses. Il est également possible de réduire le nombre de passages de tracteurs pour moins consommer d’énergies fossiles et d’améliorer le stockage du carbone dans le sol en mettant des couverts végétaux dans les rotations », explique Baptistes Soenen, chef de l’agronomie à l’institut Arvalis.

Plus succinctement, le changement de pratiques agricoles semble inéluctable, à l’image de celles réalisées par France carbon agri association, dont l’action a été saluée par tous les intervenants.

Transparence et traçabilité

Ce qui intéresse plus les agriculteurs, c’est surtout la manière dont ils seront récompensés de leurs efforts, comment ces derniers seront valorisés en espèces sonnantes et trébuchantes. Aujourd’hui, le marché du carbone reste encore confidentiel, et il y a besoin « de structurer l’offre et la demande » autour du Label bas carbone (LBC), a souligné Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). S’il salue la « professionnalisation manifeste » du secteur agricole sur ce sujet, il explique que la structuration du marché carbone « est plus laborieuse pour l’agriculture que pour d’autres secteurs ». Cela tient notamment à la qualification des critères, leur définition et leur coût réel.

En réalité, il existe « quatre enjeux réels » pour mobiliser les investisseurs et financeurs publics et privés, explique Mathieu Toulemonde, fondateur de TerraTerre, une entreprise mettant en relation les agriculteurs et les investisseurs : la transparence, « car il faut s’assurer du sérieux des projets » ; la traçabilité, « qui doit permettre de suivre les avancées concrètes des agriculteurs sur au moins cinq ans » ; le contrôle, notamment par des visites sur place dans les fermes engagées dans le LBC, et, enfin, l’anticipation, « car ceux qui investissent dans cette démarche voient les crédits carbone comme un co-bénéfice pour l’eau, la biodiversité et peuvent l’inscrire dans la RSE », a-t-il précisé.

Une entreprise créée par les OPA

L’un des objectifs est également d’éviter la spéculation et, par conséquent, de sécuriser ce parcours financier, en fixant « des points de non-retour », a plaidé le ministre de l’Agriculture. C’est sans doute pourquoi les organisations professionnelles agricoles entendent maîtriser une partie de ce secteur. La présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, a ainsi annoncé la création d’une nouvelle structure commerciale qui rassemblera l’offre en crédits carbone. Cette future Société par actions simplifiée (SAS) « unique à toutes les productions » sera placée sous l‘égide de la FNSEA, en partenariat avec Chambres d’agriculture France (APCA) et JA. Cette SAS, dont le nom sera dévoilé peu de temps avant le Salon de l’agriculture, va proposer des crédits carbone aux entreprises, industriels et particuliers. Ce ne sont pas moins de « 600 000 tonnes équivalent C02 » qui seraient ainsi disponibles et monnayables. « Je suis prête pour le carnet de commande », a lancé Christiane Lambert, en forme de boutade au ministre Julien Denormandie.

Ce dernier entend bien valoriser le rôle des agriculteurs dans la lutte contre le changement climatique au cours de la PFUE2022. Il lui a répondu que son ministère envisageait d’acheter « 7 000 tonnes » de crédit carbone. « Le défi le plus compliqué est celui du méthane en élevage car il y a peu de solution », a-t-il tempéré.

Au cours de la table ronde, le ministre de l’Agriculture et la présidente de la FNSEA ont ouvertement plaidé pour « acheter des crédits carbone français ». Et cela, même si certains seraient tentés de prendre les moins chers ailleurs. En effet, le prix de la tonne de CO2 varie en France entre 30 et 40 euros/tonne en moyenne, quand il est payé entre 5 et 8 euros/t en Amérique Latine et « même 2 euros/t en Afrique », a indiqué l’ancien ministre Arnaud Montebourg. Car « introduire des légumineuses est bien plus onéreux que d'arrêter la déforestation », a souligné Julien Denormandie, qui encourage les acteurs privés à considérer la souscription de crédits carbone français comme « un investissement » qui permet de concilier « création de valeur environnementale et économique ». 

 

Christophe Soulard