Série de l'été : ces savoir-faire ancestraux
Coutellerie : de la forge à la poche

Ludovic Delille est passionné de couteaux depuis l’enfance. Il y a deux ans, il s’est lancé dans l’aventure de l’entreprenariat et est devenu artisan coutelier d’art. Un métier dont les origines sont ancestrales, bien que les outils aient été grandement modernisés. Découverte.

Coutellerie : de la forge à la poche
La coutellerie est une industrie aux origines ancestrale dont les techniques ont été largement modernisées ces dernières années. © PL/Clara Serrano

« Déjà tout petit, j’adorais les couteaux. Malgré mon faible budget, j’essayais de les collectionner. » Pour Ludovic Delille, la coutellerie est une passion depuis de nombreuses années, à tel point qu’à 30 ans, il réalisait un stage de forge. Une expérience marquante alors que l’entrepreneur travaillait déjà dans le secteur de la logistique. Les lames n’étaient alors qu’un hobby… jusqu’à il y a deux ans. « J’ai décidé de me lancer, j’ai commencé à produire mes propres couteaux puis j’ai suivi une formation. Je sentais au fond de moi que c’était le moment d’entamer une reconversion, et je ne regrette pas du tout. »

Autodidacte, le coutelier de Civens a ensuite suivi une formation auprès d’un meilleur ouvrier de France du bassin thiernois (producteur de 80 % des couteaux français en 2016), réputé pour son savoir-faire et son histoire de cité coutelière, souvent surnommé la capitale de la coutellerie. L’occasion, pour lui, de parfaire ses connaissances et ses techniques pour ce métier qui l’anime mais exigeant et varié.

Un artisan polyvalent

En effet, le métier de coutelier d’art implique de nombreux savoir-faire très différents les uns des autres. « Aujourd’hui, le coutelier réalise toutes les étapes de la création du couteau. Cette complexité et cette polyvalence sont ce qui me plait particulièrement. » L’homme est également très créatif et réalise des objets uniques et sur mesure, sur commande ou non. « Il m’arrive souvent d’avoir plus d’idées que de temps pour les réaliser » sourit l’artisan. Et d’ajouter : « J’aime utiliser des matériaux de qualité et, pour les manches, marier les bois. Les possibilités sont infinies ! » Aciers carbone, inoxydables et damas, bois, résines composites, os, cornes, zirconium, etc. l’homme considère les couteaux comme « de vrais bijoux, que l’on peut collectionner, admirer, porter ».

Il confectionne d’ailleurs un vaste panel d’outils : couteau outdoor, couteau chasse/bushcraft, couteau de cuisine, couteau pliant, EDC (Every day carry, port au quotidien), etc. Une fois le dessin réalisé et les matériaux choisis, le coutelier entame le travail de la lame : forgeage, trempe, façonnage, émouture, crantage, polissage et affûtage. Selon le matériau, le manche nécessite lui aussi quelques travaux également très précis, qui doivent le rendre à la fois beau et pratique. Ludovic raconte d’ailleurs : « Ce que je préfère, c’est la forge. Il y a comme un côté magique et ultra satisfaisant lorsque l’on passe d’une barre de fer à un beau couteau. » 

Une fois son produit terminé, Ludovic Delille le vend sur commande ou encore sur l’un des nombreux salons et marchés auxquels il participe. En effet, il est présent lors d’évènements tels que le comice de Feurs, les marchés de Noël et beaucoup d’autres comme le salon de la coutellerie de Thiers, dont le rayonnement est national. « Cela me permet à la fois d’exposer mon travail et de me faire connaître, mais aussi de rencontrer et revoir des confrères d’autres régions. »

Ludovic Delille, coutelier d’art autodidacte et passionné. © PL/Clara Serrano

Transmettre le savoir et la passion

Parallèlement à sa production de couteaux, l’entrepreneur propose au grand public des stages de découverte ou de perfectionnement. Accessibles à tous, ces formations d’un ou deux jours sont l’occasion de découvrir ou redécouvrir les techniques de travail de la lame et du manche ainsi que de l’assemblage. Forgeage, trempe, émouture, polissage, affûtage, lavage, rivetage, collage, soudure, etc. les participants réalisent leur votre propre couteau avec les conseils avisés de Ludovic.

Désireux de transmettre ses connaissances, il a créé ces ateliers au tout début de son activité. Plus qu’un revenu supplémentaire, cela représente pour lui une « manière de boucler la boucle ». « En général, les gens choisissent un modèle de couteau qu’ils souhaitent réaliser. Je leur explique ensuite comment prendre en compte tous les détails qui peuvent nuire au bon fonctionnement du couteau, puis commence le travail de la lame et celui du manche. Ce sont des journées intenses et parfois un peu physiques lors de la forge, mais nous partageons des moments conviviaux et un bon repas le midi. Généralement, les stagiaires sont fatigués mais ravis lorsqu’ils repartent d’ici », se réjouit Ludovic.

Clara Serrano

Un peu d’histoire

Du silex au couteau dernière génération

Alors que l’invention du silex remonte à plus de deux millions d’années, il s’agit certainement d’un des outils ayant le plus contribué au développement de l’Humanité. Depuis, il a subi de nombreuses évolutions. De la pierre au bronze puis à l’acier, il s’est transformé, mais garde toujours une grande utilité dans le quotidien de la plupart des gens. Fabriqué dans le monde entier, il était à l’origine façonné par les spécialistes du fer qu’étaient le forgeron, le maréchal-ferrant et le ferronnier. Depuis le IXe siècle, des artisans appelés les couteliers se sont spécialisés dans la fabrication de couteaux de découpe. Le Xe siècle voit apparaître les premiers couteaux destinés à la table, avant que certains deviennent de réelles œuvres d’art, magnifiées par l’utilisation de matériaux nobles comme des bois précieux, de l’argent, de l’or ou encore de l’émail.

Selon la Fédération française de coutellerie (FFC), c’est ensuite aux XVe et XVIe siècles que de multiples villes et bassins couteliers se créent sur le territoire, notamment Beauvais, Périgueux, Toulouse, langres, Paris, Châtellerault, Moulins mais aussi Thiers et Saint-Étienne. Ceux-ci poursuivent leur développement au cours du siècle suivant grâce à la démocratisation des couverts de table et à la diversification des productions : rasoirs, ciseaux, couteaux spécifiques aux métiers de bouche et à l’agriculture, etc.

La qualité et le savoir-faire français sont déjà reconnus, ce qui vaut aux artisans d’exporter leurs couteaux dans le monde entier. Alors que les guerres du XXe siècle entraînent la disparition de la plupart des bassins de production coutelière, ceux de Nogent et Thiers persistent ainsi que quelques villes. Enfin, lors des deux derniers siècles, la modernisation, l’internationalisation et les progrès techniques permettent un nouvel essor de l’industrie, parallèlement à celui de nombreux artisans et couteliers d’art. La FFC a d’ailleurs constaté une croissance du chiffre d’affaires de la filière de 10 % entre 2013 et 2018. L’an dernier, elle représentait d’ailleurs 1415 emplois en France.