Passionnés de photographie, d’histoire ou de mystère, les urbexeurs sont les nouveaux explorateurs. Rendez-vous avec “Flo” et “So” pour la découverte de la discipline et la visite de la maison Vergnette, à Saint-Étienne.

Les nouveaux explorateurs
À l'image de "Flo" et "So", les urbexeurs explorent des maisons, usines et autres bâtiments abandonnés pour en faire des photos et découvrir leur histoire.

Après un contact pris quelques jours plus tôt sur les réseaux sociaux, nous retrouvons “Flo”, alias flow.urbex sur Instagram, et “So”, alias urbex_lyon_environs sur le même réseau, pour l’exploration de la maison Vergnette, une ancienne demeure bourgeoise de Saint-Étienne. Pour ne pas éveiller les soupçons, nous ne nous rencontrons pas devant la porte d’entrée mais bien à quelques pas. Arrivés un peu plus tôt, les deux jeunes hommes ont remarqué que la porte arrière, donnant sur le jardin, était ouverte. Peut-être d’autres personnes sont-elles déjà dans le bâtiment ? Discrètement, et en refermant la porte derrière nous, nous pénétrons dans les lieux, encore maculés de la neige des jours précédents. Équipés de lampes frontales, les deux explorateurs chevronnés connaissent déjà la demeure. Ils constatent cependant quelques changements : « Il y en a d’autres qui sont venus. »

À l’intérieur, l’architecture est remarquable. De grands espaces donnent lieu à un bel escalier d’honneur desservant le premier étage, dont les plafonds sont moulurés. Pourtant, difficile de poser un pied devant l’autre sans marcher sur des déchets, des courriers, des photos, des livres, des vêtements, etc. Habitée à la fin du XIXe siècle par la famille Vergnette, la demeure semble avoir été abandonnée du jour au lendemain, sans que ses propriétaires n’aient le temps d’emporter avec eux leurs affaires personnelles.

Chaque lieu son histoire

Mais “So” connaît bien l’histoire de la demeure, et elle est toute autre. « Lorsque je me rends sur un lieu comme celui-ci, je me renseigne sur son passé dans la presse, sur internet ou même aux archives. Sur place, on peut également avoir des informations grâce à la date des photos, aux courriers, à la date de péremption des aliments, au style de vêtements laissés sur place. On essaie généralement de savoir pourquoi les habitants sont partis. Ce sont souvent des décès malheureusement. » Et d’ajouter : « Ici, une grande famille stéphanoise vivait depuis de nombreuses années. Le petit-fils du propriétaire est décédé dans le jardin, suite à un bombardement durant la Seconde Guerre mondiale. Une stèle a d’ailleurs été construite au même endroit, rappelant le triste événement. Le départ de la famille serait dû à l’apparition d’un champignon s’attaquant au bois. » En effet, aux étages supérieurs, les fondations sont moins solides et des trous dans le parquet se font sentir sous la moquette. « Le propriétaire actuel menace de détruire le bâtiment » précise “Flo”.

Bien qu’ils connaissent déjà très bien les lieux, “Flo” et “So” passent plus d’une heure à visiter et à examiner chaque pièce. Dans une des chambres, le premier s’émerveille : « C’est fou, regardez cet album photo : il est comme neuf. Ce sont des photos de mariage, on voit que c’était un autre temps. » Alors qu’au sous-sol, “So” remarque des lettres qu’il n’avait pas vues auparavant. Il tente de comprendre encore un peu mieux l’histoire de cette famille : « Il y a différents noms sur les courriers. On dirait que plusieurs familles ont vécu ici selon les époques. »

Alors qu’ils pratiquent la discipline depuis déjà plusieurs années, les deux hommes expliquent que ce qui leur plait tant pour parfois prendre des risques importants, c’est « la découverte de lieux figés dans le temps, de l’histoire des anciens habitants et ce sentiment d’entrer dans une bulle, d’être seul dans un milieu où peu de gens osent s’aventurer ».

Une communauté de passionnés

Contraction des mots "urbain" et "exploration", l’urbex est une discipline qui rencontre un succès grandissant chez les jeunes, mais pas seulement ! La preuve : un professeur de français, histoire-géographie puis directeur des centres sociaux stéphanois publiait fin 2022 son livre “Le promeneur stéphanois ”. L'auteur, François Maguin, y décrivait son amour de « l’urbex doux », chroniquant les rencontres, les découvertes, les légendes locales et personnelles, les réminiscences artistiques ou de simples anecdotes futiles. En effet, pendant des années, ce passionné de photographie aimait flâner dans les rues de Saint-Étienne, la ville dans laquelle il a toujours vécu, pour y capturer émotions et mystères.

C’est d’ailleurs ce que font également des millions d’internautes. Sur des blogs mais aussi sur les réseaux sociaux, les pages recensant les découvertes de chacun pullulent. Sur Instagram, le hashtag urbex apparait sur plus de onze millions de publications… et sur TikTok, le réseau prisé des jeunes, il compte plus de six milliards de vues. Hommes, femmes, jeunes ou moins jeunes, dans le monde entier, ils utilisent la photo ou la vidéo pour partager leur dernière découverte. Histoire, architecture, art et parfois même paranormal, les explorateurs s’attachent à “faire vivre” et à montrer le charme de ces lieux laissés à l’abandon. Certains profitent même de ces canaux de diffusion pour livrer leurs meilleures… ou pires expériences, rappeler les règles à respecter, dénoncer certains agissements mais aussi donner des conseils aux néophytes.

Clara Serrano

« Il faut ouvrir l’œil »
Photos, magazine, livres ou encore vêtements, de nombreux effets personnels sont souvent laissés sur place.
Bien débuter

« Il faut ouvrir l’œil »

“Flo” et “So” préviennent : « Pour les personnes qui débutent l’urbex, il est très important de bien préparer son exploration. Il faut se renseigner sur les lieux, la facilité d’accès, l’état de conservation, la surveillance, etc. Il est d’ailleurs préférable de ne pas se rendre sur place seul. On ne sait jamais sur quoi ou sur qui l’on peut tomber. » Encore faut-il trouver les adresses, et ce n’est pas tâche aisée. Pour cela, les plus chevronnés utilisent Google. Certains passent parfois des heures à observer minutieusement les cartes d’une zone pour repérer une éventuelle maison à l’abandon. Différentes applications existent également, comme mapstr, que “Flo” utilise pour répertorier à la fois les lieux à découvrir et déjà visités. Il confie d’ailleurs : « Quand quelqu’un que je ne connais pas me demande une adresse, j’en donne une qui est déjà saccagée par les vandales. Au moins, je suis sûr qu’il ne va pas aller en détruire une autre. » En effet, les deux hommes reçoivent régulièrement de telles demandes sur les réseaux sociaux. Pourtant, la discipline est codifiée et le partage des adresses n’est « pas quelque chose qui se fait ». Il s’agit en effet d’une manière récurrente et plus simple pour les débutants d’accéder à de nouveaux lieux. “So” ajoute également que le repérage de nouveaux bâtiments à visiter peut se faire grâce à des rencontres ou encore lors de balades inopinées : « Il faut ouvrir l’œil. »

 

Attention, en revanche, à ne pas entrer par effraction, à ne pas dégrader les lieux, à ne pas voler d’objet. Bien qu’abandonnés, ces lieux appartiennent à des familles, entreprises, associations ou autres organismes et même parfois à l’État. Toute action de cet ordre pourrait donc faire l’objet d’une sanction.

Législation

Un vide juridique

Aux limites de la légalité, l’urbex est une discipline passionnante mais parfois dangereuse. Selon l'article 226-4 du code pénal, « l'introduction dans le domicile d'autrui à l'aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet » est interdite et punie. Mais “Flo“ et “So“ expliquent : « Il y a des petites règles à respecter dans l’urbex et, parmi elles, l’infraction est interdite. Pour entrer sur les lieux, nous exploitons ses failles comme une clôture endommagée, une porte déjà cassée, une fenêtre ouverte, etc. Cela nous pousse d’ailleurs parfois à prendre des risques et à escalader des murs ou même des toits. »

Par ailleurs, l'article 311-3 du code pénal énonce que « le vol est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende » et l'article 322-1 du code pénal que « la destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, sauf s'il n'en est résulté qu'un dommage léger ». Toujours parmi les codes de la discipline, les deux hommes racontent : « Un vrai urbexeur ne fait pas deux, trois, quatre ou même plus d’heures de route pour dégrader les bâtiments qu’il visite. Nous faisons ça par passion ! C’est pourquoi nous faisons attention à ne pas voler, casser ou dégrader les objets abandonnés sur place. » “Flo” précise : «  Un amalgame est facilement fait avec les vandales. »

Une pratique “dans les règles de l’art“ n’est donc pas interdite à proprement parler, défendent les deux passionnés. Pourtant, ils racontent de concert avoir déjà été « agressés par des voisins un peu trop protecteurs ».