Interview
L’influence, ou « humaniser le message publicitaire »

Joseph Godefroy a soutenu sa thèse Des influenceurs sous influence en mars 2023. Il a réalisé des entretiens avec des créateurs de contenus fitness et alimentation pour comprendre le lien qui les unit aux marques avec lesquelles ils collaborent. 

L’influence, ou « humaniser le message publicitaire »
Seule une petite élite vit de l'influence sur les réseaux sociaux. ©AdobeStock

Quelle est votre définition d’un influenceur ? 

Joseph Godefroy : « Au début, c’est un terme que j’avais mis de côté parce qu’il a une connotation négative et que les créateurs de contenus ne l’utilisent pas nécessairement eux-mêmes. J’ai fini par m’en servir parce qu’il permet de bien mettre en avant les attentes des marques quand elles collaborent avec eux : à savoir, qu’ils guident une décision d’achat de leurs abonnés. Les influenceurs, ce sont des créateurs qui publient des contenus en ligne et qui acceptent de consacrer une partie de ce qu’ils produisent à la mise en avant d’un message publicitaire pour le compte des marques qui les sollicitent. Leur posture n’est pas celle du vendeur ou de la publicité intrusive. Au contraire, ils présentent une figure ordinaire, amicale, et utilisent la recommandation plutôt que la consigne formelle. Par ce biais, il y a une euphémisation, parfois une dissimulation, du message publicitaire. 


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Les influenceurs s’expriment sur des plateformes qui ne sont à l’origine pas celles de la publicité mais de la sociabilité et du divertissement. Cela participe également à la confusion qu’il peut y avoir entre la posture « personnelle », jugée authentique, et la posture « marchande » qu’ils adoptent. La période sur laquelle j’ai travaillée (2016-2023) a vu de nouveaux formats publicitaires se développer. Pour les marques, c’était assez nouveau de communiquer de cette façon et c’est ce qui a fait la force du marketing d’influence ces dernières années. » 

Pour votre thèse, vous vous êtes particulièrement intéressé au milieu du fitness et de l’alimentaire. Dans quels autres domaines les influenceurs peuvent-ils intervenir ? 

J.G. : « Sur ma période d’étude, le fitness, la mode, le lifestyle, les jeux vidéo, l’alimentation, etc. étaient des thématiques centrales et ont été investies dès le départ, ou presque, par les marques. Aujourd’hui, les contenus se sont multipliés, diversifiés, spécialisés. Les marques s’intéressent à tous les domaines et se tournent aussi vers des créateurs de contenus dont les communautés sont moins nombreuses mais plus engagées. Avec cette audience restreinte mais plus spécialisée, les marques pensent que le message qu’elles veulent faire passer sera plus efficace. C’est un procédé qui peut être assez rentable pour les entreprises : un investissement moindre pour une bonne rentabilité puisque les créateurs ne sont pas toujours rémunérés en argent, ils le sont aussi en bon d’achats ou à travers d’autres cadeaux comme des produits gratuits, des invitations à des événements, etc., et qu’elles toucheront une audience qui ne perçoit pas nécessairement, pour le moment, ce créateur de contenus comme un vendeur. » 

« Seule une petite élite vit de la création de contenus »

Justement, la rémunération des influenceurs est floue... 

J.G. : « Très floue. Avant la récente régulation que nous avons connue en France, les marques et les plateformes ont profité de ce flottement. Les contenus qu’elles demandent aux créateurs s’apparentent à du travail puisqu’ils reçoivent des consignes explicites et qu’il y a une subordination claire entre les créateurs de contenus qui sont les exécutants et les marques qui sont les commanditaires. Mais au fur et à mesure de mon travail, je me suis rendu compte que ceux qui produisent les publications ne le voient pas de cette façon : pour eux, c’est un loisir marchandisé. Bien sûr, cela interroge quant à la légalité de cette activité. 


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Certains des cas que j’ai étudiés rapportent des rémunérations non encadrées, non déclarées. Sans compter la multiplicité des territoires qui complique le cadre juridique. Prenons l’exemple de Pauline (l’une des créatrices suivies dans le cadre de la thèse de Joseph Godefroy, NDLR) : française, elle collabore avec une marque portugaise sur une plateforme hébergée aux États-Unis ; les droits de chacun sont différents, peuvent parfois s’opposer, s’affronter. Alors que le droit du travail ou le droit de la consommation s’appliquaient dès le début du marketing d’influence, les marques ont certainement profité de ce flou pour faire promouvoir leurs produits, parfois en marge de la légalité. »

Influenceur, c’est un métier sur lequel repose de nombreux fantasmes. Mais est-ce viable ? 

J.G. : « J’ai vu une évolution depuis ma thèse. Dans les cas que j’ai étudiés, les créateurs sont arrivés sur Instagram d’abord pour partager leurs loisirs, leurs photos, puis ont été sollicités par des marques et ont fait le choix de se professionnaliser. Aujourd’hui, des créateurs se lancent sur la plateforme pour espérer vivre de cette activité. La démarche est plus entrepreneuriale, plus assumée. La stratégie évolue également face à un cadre légal qui se développe : les marques et les agences vont encadrer leur activité et les créateurs sont plus conscients de l’application de la loi. Désormais, l’approche est différente : en percevant l’influence comme un travail, la rigueur est plus importante. 

Il est possible de vivre à 100 % de la création de contenus. Mais c’est le cas seulement pour une petite élite. Ceux qui profitent d’une rémunération substantielle sont peu nombreux. Il y a aussi ceux qui créent et touchent une rémunération conséquente, mais de façon plus ponctuelle ; ceux qui perçoivent une rémunération mais gardent leur travail d’origine, en essayant de basculer à mi-temps pour dégager du temps pour la création ; ceux qui gardent leur travail en se contentant de gratifications comme des invitations ou des produits... » 

Le partenariat ou la collaboration avec une marque sont-ils essentiels pour définir un influenceur ? 

J.G. : « L’influence commerciale englobe surtout les créateurs de contenus qui travaillent avec des entreprises. Mais c’est une notion qui s’étend bien au-delà de l’aspect mercantile. Les influenceurs politiques cherchent à convaincre leur audience : c’est une forme d’influence avec laquelle ils peuvent jouer. Idem pour les contenus humoristiques. Avant les réseaux sociaux, les artistes étaient déjà écoutés, faisaient passer des messages qui sortent de leur domaine. On peut penser à Coluche, par exemple, mais d’autres depuis se sont également illustrés par leurs prises de paroles. Sur les plateformes, ils utilisent les mêmes ressorts pour faire passer leurs idées : ils ont une audience massive qui apprécie les thèmes qu’ils abordent, leur authenticité. » 

L’authenticité semble au cœur du processus d’influence... 

J.G. : « C’est le levier sur lequel s’appuient les marques, une notion centrale que ce soit pour les entreprises et les créateurs. Les deux parties sont convainques que le public cherche à suivre des personnes proches d’eux, qui incarnent la « vraie vie ». Pour cette raison, les influenceurs ne veulent pas devenir des panneaux publicitaires et limitent les partenariats qu’ils diffusent en ligne. L’idée, pour les marques, c’est d’humaniser le message publicitaire par l’intermédiaire d’un personnage que l’on connaît et apprécie pour autre chose que sa casquette de vendeur. L’authenticité se travaille et se construit au fil des contenus diffusés en ligne. En dépit du caractère « exceptionnel » qu’on pourrait associer à ces figures très visibles en ligne, les influenceurs communiquent sur les aspects ordinaires de leur quotidien pour construire, au moins en apparence, la proximité qu’ils entretiennent avec leur audience. C’est ce que cherchent les marques pour vendre leurs produits : des individus authentiques et ordinaires. »

Propos recueillis par Alexandra Pacrot
Des influenceurs sous influences, La mobilisation économique des usagers d’Instagram
Joseph Godefroy

Ces Ligériens qui cartonnent sur les réseaux

Sur Instagram, YouTube, TikTok, Snapchat... Ils cumulent des milliers, voire des millions de vues. Avant de devenir de vraies stars du web, ils étaient des Ligériens lambda. Aujourd’hui, ils sont suivis pour leurs conseils mode, leur humour, leurs bons plans, leurs recettes... 

Raïssa Gloria 

Anciennement MademoiselleGloria, aujourd’hui rebaptisée, Raïssa Gloria est une YouTubeuse lifestyle et beauté. Elle a ouvert son premier compte YouTube à 12 ans et compte aujourd’hui 1,75 millions d’abonnés sur sa chaîne qui affiche 129 vidéos (article écrit le 28 mars). 

Laurent Jacquet 

Il est LE bricoleur du web. Laurent Jacquet perce sur YouTube avec sa chaîne LJVS (Laurent Jacquet Video Show) dès 2015 et très rapidement, certaines de ses vidéos atteignent le million de vues. En 2019, il lance une chaîne secondaire, Bichon TV et devient animateur pour Mission Travaux, une émission produite par M6, en 2021. Le compte YouTube de LJVS compte aujourd’hui 337 000 abonnés.

Bouboule42 

Plus jeune, Gaëtan Canaveira, a été victime de harcèlement*. Aujourd’hui, il s’affirme sur les réseaux sociaux, cumulant plus de 600 000 abonnés entre TikTok et Instagram. Si ses vidéos sont avant tout des sketches, la lutte contre le harcèlement est inscrite dans l’ADN de ce natif du Chambon-Feugerolles. Il a d’ailleurs publié un livre à l’été dernier : J’aime qui je suis.  

Mes Brouillons de cuisine 

La cuisine est l’une des trends les plus suivies sur les réseaux sociaux. Si vous êtes en panne d’inspiration, vous pouvez faire un tour sur le compte d’Anaïck Jégou. 214 000 personnes s’inspirent régulièrement de ses contenus simples et sains. Il suffit de jeter un coup d’œil sur le compte pour se sentir affamé... 

Yamahaaa

De son vrai nom Manon Munoz, la jeune femme est un pur produit de sa génération puisqu’elle partageait son quotidien sur TikTok : vacances, galères, ouverture de colis... Bien qu’aucune vidéo n’ait été produite depuis juillet 2021, le compte totalisait 630 000 abonnés. 

Rhyno 

De son vrai nom Hamza Abdou, ce Stéphanois de 24 ans cartonne d’abord sur Instagram où il compte aujourd’hui une communauté de 422 000 followers puis sur TikTok. Son compte est suivi par deux millions de personnes. 

Danine 

Sur Instagram, elle est @eninad42. Son univers ? La mode qui s’affiche partout sur son profil suivi par plus de 150 000 followers. Elle pose dans Sainté avec ses « looks du jour », donnant les boutiques où les retrouver. 

Quentin Skyz 

Il cumule les millions de vues sur TikTok. Quentin Skyz, 22 ans, publie du contenu vidéo sur les réseaux depuis qu’il en a 15. Sur la plateforme chinoise, il est suivi par 968 000 personnes. De ses escapades dans des lieux abandonnés, ses premières vidéos, il ne reste plus grand chose. Le jeune homme s’est tourné vers les sketches et les astuces, deux thématiques qui font recette sur les réseaux sociaux. 

Nathalie Cellier 

Sur Instagram, cette native de Firminy, est suivie par 101 000 followers qui apprécient son contenu dédié à la mode et à sa marque Songe lab qu’elle a lancée en 2014 depuis La Réunion. 

Salomé Falcon 

Son profil a tout de celui d’une ancienne Miss Excellence : des photos travaillées, des looks recherchés et des story à la Une qui donnent des envies de voyage. Salomé Falcon a participé au concours d’excellence en janvier 2021. Aujourd’hui, son compte rassemble 21 000 followers. 

*En cas de harcèlement, vous pouvez contacter le 17 (police/gendarmerie) et le 112 ; le 3018 en cas de cyberharcèlement.