Alimentation
Souveraineté alimentaire : entre constat et solutions

A la suite des différents échanges survenus dans la matinée, entre rapports d’activités et loi EGAlim, une table ronde a mené les débats de l’après-midi. Au programme de celle-ci, la souveraineté alimentaire. 

Souveraineté alimentaire : entre constat et solutions
La table ronde organisée l’après-midi de l’assemblée générale de la FDSEA de la Loire a été l’occasion de traiter de la question de la souveraineté alimentaire, en France comme en Europe.

Droit de chaque pays à maintenir et développer sa capacité à produire son alimentation de base, la souveraineté alimentaire était au cœur des discussions, lors de l’après-midi de l’assemblée générale de la FDSEA. Invitée lors d’une table ronde, Emmanuelle Ducros, native de Roanne et journaliste au quotidien L’opinion, introduisait alors cette souveraineté alimentaire « qui nous explose en plein visage depuis le début de la guerre en Ukraine ». Avant de questionner l’assemblée sur son rôle. « Cela veut-il dire qu’il faut tout maitriser de A à Z, que l’on soit entièrement auto-suffisant, quasiment autonome et se tourner vers nous-même et notre nombril français ? Non, je ne crois pas. Cela veut seulement dire que l’on maitrise notre destin alimentaire, que l’on a conscience de nos dépendances et que nous les maitrisons, mais que l’on a aussi conscience de nos forces. Et que l’on se conçoit aussi dans l’échange. La souveraineté, ce n’est pas juste pour soi ; c’est aussi ce que l’on fait avec nos voisins. »

Érosion d’une souveraineté alimentaire construite 

Au vu du contexte actuel, la journaliste pointait alors du doigt qu’un partenaire comme la Russie n’était désormais plus une option fiable, notamment en ce qui concerne les engrais, le gaz ou encore les céréales. Rappelant que l’Hexagone est un « pays d’abondance agricole, avec de superbes sols, climat et connaissances », Emmanuelle Ducros mettait par ailleurs en lumière le luxe situationnel des pays comme le nôtre, « des pays que l’on compte sur les doigts d’une main ». Des propos qu’approuvaient d’ailleurs le député européen Jérémy Decerle, pour qui « l’agriculture française et même européenne reste la plus belle, la plus sécurisée, la plus contrôlée et la plus réglementée du monde. » Et ceci doit motiver à la mise en place d’outils de protection, en passant notamment par un meilleur revenu et un renouvellement des générations, puisqu’en France, « 5 % des agriculteurs ont moins de 35 ans et 50 % ont plus de 55 ans ».

Perçue comme un paradis agricole - en qualité comme en quantité - par la journaliste, la France est dans le carré de tête des pays qui alimentent le reste du monde en céréales et notamment en blé. Et pourtant, « notre souveraineté alimentaire s’est beaucoup érodée au cours de la dernière décennie, où l’on a perdu le contrôle sur un certain nombre de secteurs et où l’on est désormais dépendants de nos voisins ou du plus large export. Les protéines végétales sont notre plus gros point faible, au même titre que les engrais. »

Cette érosion se justifie par deux points principaux, selon elle : le coût de la main d’œuvre agricole en France, comparé à d’autres pays européens, en prenant l’exemple d’un Smic horaire et des charges (l’Allemagne est à +22 %, l’Espagne à +35 %, les Pays-Bas à +45 %) et la surtransposition des normes. L’Hexagone est « un pays qui aime faire mieux que les autres. Il y a une règle européenne recommandée par l’Efsa (institut sanitaire européen), mais la France, de son propre chef, dit vouloir faire plus en étant mieux disant sur cette règle ».

Concurrence mesurée et hausse de rémunération

Le secrétaire général adjoint de la FNSEA, Patrick Bénézit, évoquait quant à lui « des choix politiques européens qui, aussi sous pression de la société, avaient alors considéré que la souveraineté alimentaire n’était plus la priorité ». Des propos faisant écho à ceux du député européen, lequel avait confié que « le problème dans le Conseil européen, c’est que l’on décide à 27. Il y a de très grosses disparités et il faut que l’on adapte les différents objectifs et enjeux aux besoins mondiaux. »

Et pourtant, « il faut repositionner les choses en matière de souveraineté alimentaire, ce que nous faisons au niveau de la FNSEA auprès des candidats à la présidentielle. » Cela commence par rappeler des valeurs fondamentales qui consistent à dire qu’il n’est pas normal d’avoir été mis en concurrence avec des pays qui ont le droit de faire des choses et d’utiliser des produits qui ne sont pas autorisés en France et en Europe. Patrick Bénézit déplorait « des mécaniques qui, jusqu’à maintenant, ont acté une dépendance ». D’ajouter : « Cela ne veut pas dire que l’on est contre les échanges mondiaux, mais plutôt qu’il nous faut des armes équivalentes, avec des distorsions de concurrences inexistantes. » Parmi les solutions proposées, le secrétaire général adjoint souhaite avant tout une forme de régulation en matière de prix : « Si notre souveraineté alimentaire, nous l’avons perdue, c’est qu’à un moment donné, on a découragé les producteurs parce qu’ils n’ont pas gagné leur vie. La clé, c’est mesurer la compétitivité. Cela passe bien évidemment par le prix et la rémunération des producteurs. »

Michel Joux, vice-président de la FRSEA Auvergne Rhône-Alpes, partageait également l’avis de Patrick Bénézit sur la rémunération des producteurs. Tout en nuançant ses propos concernant l’origine du problème : « Ce n’est pas une histoire d’argent, mais une histoire de système. » D’expliquer : « Si vous redonnez la rentabilité à toutes les productions, à toutes les agricultures françaises, automatiquement, les fermes vont se stabiliser, elles vont devenir plus nombreuses et là, le système ira bien. »

La question de l’Ukraine

La question de la souveraineté alimentaire a été l’occasion, lors de cette table ronde, de faire le point sur le conflit entre la Russie et l’Ukraine. « Ce sont des pays qui ont fait le choix de faire de leur agriculture un argument de puissance géopolitique. Si on prend les exportations cumulées en termes de blé de la Russie et de l’Ukraine, cela représente 30 % des échanges de blé mondiaux, 40 % en incluant le Kazakhstan. », développait Emmanuelle Ducros. Avant d’ajouter : « L’Ukraine démontre la fragilité de la souveraineté alimentaire, car il suffit de deux semaines de guerre pour mettre à plat le système. »

Si le conflit actuel peut amorcer un déclic, Michel Joux reste surpris d’avoir attendu que la situation dégénère : « Je suis subjugué par la non-vision des hommes et des femmes politiques depuis vingt ans, en France comme en Europe. Ce que l’on vit aujourd’hui, c’est très malheureux et dramatique, mais il faut une guerre à nos portes pour que l’on commence à se poser des questions. Donc même si cela arrive bien tard, si dramatiquement ce qui se passe en Ukraine nous permet aujourd’hui de changer en France et en Europe, ça sera très bien » 

Axel Poulain