Histoire et pop culture
 « Apprendre à avoir un œil critique »

Les œuvres culturelles accordent une place croissante à l’histoire. Une tendance que l’on décrypte avec Sébastien Verney. Docteur en histoire, professeur d’histoire-géographie à Annonay (07) et chargé de cours à l’université de Saint-Etienne auprès d’élèves en licence d’histoire, lui-même utilise le jeu vidéo avec ses élèves.

 « Apprendre à avoir un œil critique »
« Si un jeu vidéo, un film, une série (comme ici Chernobyl, NDLR) est une porte d’entrée qui donne l’envie et la curiosité de s’intéresser au sujet en question, de creuser, de vérifier, le pari est réussi », estime Sébastien Verney, professeur d’histoire-géographie. / © 2019 HBO, Inc. All rights reserved

En plus des livres, films et documentaires, l’histoire est très présente depuis quelques années dans les séries, sur YouTube, les jeux vidéo et même sur les réseaux sociaux. Comment l’expliquez-vous ?

Sébastien Verney : « Internet a contribué à une diffusion du savoir comme rarement dans l’histoire de l’humanité. Avant, c’était beaucoup plus restreint. L’école a longtemps été une porte d’accès à la connaissance qui pouvait se matérialiser par une bibliothèque dans le cadre familial ou au niveau municipal. Aujourd’hui, tout le monde peut avoir très facilement accès à un contenu dense, mais il est évident que la qualité est à relativiser. En tant qu’historien, je vois, par exemple, que, sur certaines chaînes YouTube de vulgarisation, la rigueur n’est pas là. Il y a à boire et à manger, si j’ose dire.

Cela change-t-il votre mission ?

S.V. : « L’une des compétences fondamentales dans l’enseignement ne consiste plus à “bourrer” la tête de nos élèves avec des leçons, des dates. Nous devons certes les aider à acquérir une culture générale la plus large possible, mais, en même temps, leur apprendre à avoir un œil critique. Cette ressource numérique a beaucoup d’avantages, mais aussi un défaut : celui de picorer sans hiérarchiser, au risque de tomber dans le panneau d’informations toutes faites, sans même parler des fake news. On constate ainsi chez des étudiants de première année des difficultés méthodologiques dans le travail de recherche d’informations en bibliothèque universitaire. S’ils n’ont pas été trop préparés à cette démarche durant l’enseignement secondaire (collège et lycée, NDLR), ils doivent l’acquérir et l’affiner pour qu’elle soit plus rationnelle en fin de licence (niveau Bac+3, NDLR). »

Quelle confiance le grand public peut-il accorder à des séries comme The Crown sur le règne d’Elizabeth II ou Chernobyl ?

S.V. : « Que beaucoup de médias ou de supports numériques, cinématographiques ou autres utilisent l’histoire, je trouve que c’est une bonne chose. Malgré tout, ils restent la vision d’un auteur par rapport à un événement historique, avec aussi l’interprétation faite par un réalisateur, un producteur, différentes pressions, convictions politiques, etc. Un enseignant qui l’emploierait en cours sans la démarche critique d’indiquer que c’est une œuvre de fiction abuserait de la confiance de ses élèves. Il faut mettre en garde : cette vision est-elle vraie, comment peut-on la vérifier ? Puis entamer une démarche de recherche qui se couple à d’autres documents. Mobiliser des sources plus classiques pour les comparer à cette présentation devient d’autant plus intéressant. »

« Les critiques sur l’utilisation des nouvelles technologies ou de ces nouveaux supports, c’est un débat sans fin et passionnant, mais pas nouveau finalement. »

Le bilan est-il plutôt positif ou négatif ?

S.V. : « Si un jeu vidéo, un film, une série est une porte d’entrée qui donne l’envie et la curiosité de s’intéresser au sujet en question, de creuser, de vérifier, le pari est réussi. Je crois que c’est une très mauvaise chose de s’enfermer dans sa tour d’ivoire et de s’accrocher à une conception verticale de la connaissance. Au contraire, il faut essayer de voir comment un savoir populaire peut être approfondi, déconstruit et là, professeurs et historiens ont un rôle à jouer dans ce débat public. Les critiques sur l’utilisation des nouvelles technologies ou de ces nouveaux supports, c’est un débat sans fin et passionnant, mais pas nouveau finalement. Il existait déjà avec la diffusion de films dans les salles de classe. »

Photo S. Verney
Sébastien Verney.

Pourquoi intégrer le jeu vidéo à vos cours ?

S.V. : « Moi-même joueur de longue date, j’y ai vu un intérêt déjà en termes de motivation pour l’élève et pour l’enseignant. Cela l’amène à travailler différemment avec ses classes, génère une interaction nouvelle. Permettre, grâce au jeu Assassin’s Creed, de visiter l’agora d’Athènes au Ve siècle avant J.C. rend plus concret un apprentissage. Tout en ayant conscience que cette représentation n’est pas parfaite car des bâtiments manquent, certains aménagements ne sont pas exactement les bons. C’est d’autant plus intéressant de trouver ces failles et d’en parler ensuite dans le cadre d’une critique étayée avec d’autres documents. »

Y voyez-vous des limites ?

S.V. : « Comme le disait un de mes collègues, le jeu vidéo est souvent un appeau pour créer une motivation, un dynamisme. L’aspect ludique créé un engouement plus fort. Certains le réduisent à cela, pensent que c’est un moyen de se mettre les élèves dans la poche. Chaque enseignant juge avec sa pratique. Ce n’est pas la solution miracle à toutes les difficultés que peut rencontrer un élève. Ce qui va marcher une année avec une classe ne fonctionnera pas forcément avec une autre et il faut se remettre en question quand c’est le cas. Pour ma part, c’est un outil parmi d’autres, que je mobilise quand j’en ai besoin, toujours avec un objectif pédagogique. L’enseignant reste maître à bord, c’est lui qui utilise le jeu vidéo et non l’inverse. »

Propos recueillis par Franck Talluto

Une chaîne YouTube pour les profs et les élèves

Enseignant, Sébastien Verney est aussi youtubeur à ses heures perdues. « Je ne cours pas après les vues », rappelle-t-il en riant. Sa chaîne, baptisée Jeux Vidéo en Classe ?, est née d’un double constat : « Il y en avait très peu qui s’adressaient à la fois aux enseignants et à leurs élèves. Des collègues me disaient souvent que c’était compliqué, qu’il fallait s’y connaitre pour intégrer le jeu vidéo dans les cours. Je me suis donc fixé pour objectif de mettre à disposition des séquences préparées et du matériel pédagogique pour les aider à l’utiliser comme un support visuel. » Sur JEVC, on trouve principalement des phases d’exploration réalisées dans des titres comme Assassin’s Creed, Spiderman, mais aussi Fortnite ou des jeux de construction/gestion de ville.

L’histoire sous toutes ses formes

Voici cinq exemples d’œuvres dans lesquelles l’histoire occupe une place importante.

La série

Dans des décors somptueux, The Crown « retrace les rivalités politiques, intrigues et événements qui ont marqué le règne de la reine Elizabeth II et la seconde moitié du XXe siècle », indique Netflix, qui a déjà produit quatre des six saisons annoncées. Si elle reste une fiction et non un documentaire, avec son lot de situations et dialogues, cette série permet aussi de se replonger dans l’atmosphère des années 1980, son climat politique, sa musique, sa mode. On recommande vivement, avec, en complément, l’excellent ouvrage The Crown, le vrai du faux qui passe au crible les 30 premiers épisodes.

 

 

Le podcast

Après une parenthèse de quelques mois, Clémence Hacquart vient de lancer la troisième saison de Magma. Un podcast qui livre, une fois par mois, le récit d’une page d’histoire par une personne qui l’a vécue de l’intérieur. Pêle-mêle, on citera l’affaire du Rainbow Warrior, les années Sida, l’ordre du Temple solaire, les bébés volés ou encore le 11-Septembre. La forme est à la hauteur du fond. Disponible sur Apple podcasts, Deezer, Spotify, etc.

 

Le livre

Vous avez des fans de foot autour de vous ? Proposez-leur de se cultiver par l’intermédiaire de leur sport favori. Pourquoi l’Italie, l’Allemagne ou encore les Pays-Bas n’arborent-elles pas les couleurs de leurs drapeaux ? Saviez-vous que l’Inter Milan avait dû changer temporairement de nom sous le régime fasciste ? Deux anecdotes parmi toutes celles qu’Olivier Corbobesse énumère dans L'Histoire racontée par le football en parallèle du récit historique du monde qu’il brosse, de l’antiquité à nos jours. Le contenu, riche et passionnant mérite qu’on s’accroche malgré une mise en page parfois austère.

 

Le jeu video

Pour faire court, chaque opus de la saga Assassin’s Creed transporte le joueur dans différents univers historiques : Antiquité, croisades, Renaissance, révolution française, etc. et, dernièrement l’époque des vikings. L’un des points forts reste la sensation de pouvoir évoluer librement dans ce monde ouvert pour remplir différentes missions.

 

La chaîne YouTube

Nota Bene est probablement la plus connue des chaînes YouTube francophones spécialisées dans l’histoire. Depuis 2014, Benjamin Brillaud y propose très régulièrement des vidéos avec l’objectif de « montrer que l'histoire est partout, tout le temps ». Ça marche, puisque ce passionné compte 1,5 million d’abonnés. Si certains spécialistes lui reprochent son profil (issu de la production audiovisuelle), son contenu plaide pour lui et, il y a quelques mois, il disait à Europe 1 que sa chaîne « n'a pas vocation à remplacer un cours ou un professeur, ce n'est pas du tout la même chose, c'est quelque chose qui vient en complément, qui accompagne ».

F.T.