Filières pommes de terre
Ils ont la patate !

Solanum tuberosum, ou pomme de terre en langage comme, est connue de tous. Sa production dans la Loire l’est moins, tout comme les divers débouchés possibles : collectivités, maraîchers, plants, primeur, chips… Témoignes d’agriculteurs ligériens qui ont su développer la production de pommes de terre pour différentes filières.

Ils ont la patate !
Même si la pomme de terre est connue de tous, sa production dans la Loire l’est moins.

Quel est le lien entre la cordillère des Andes et la Loire ? La pomme de terre, bien sûr ! Même si notre département est reconnu pour être une terre d’élevage, ses conditions pédo-climatiques sont également favorables à la culture de la pomme de terre, ce tubercule qui trouve son origine, il y a 8 000 ans, sur les plateaux de la cordillère des Andes, où il poussait à l’état sauvage. Il semblerait que les Incas aient cultivé la pomme de terre dès le XIIIè siècle. Elle a traversé l’océan Altantique au XVIè siècle lors de la colonisation espagnole des terres américaines. A cette époque, la pomme de terre, ainsi que le maïs, est la base de l'alimentation de la population de l'empire Inca et de celles des régions voisines. Embarquées à bord des navires comme vivres, les pommes de terre sont arrivées en Europe par les côtes espagnoles. Elle aurait été cultivée pour la première fois sur le vieux continent vers 1540. Elle arrive également en Angleterre au milieu du XVIè siècle. C’est dans le courant du XVIIè siècle que la culture de la pomme de terre se développe réellement en Europe, même si elle reste une curiosité jusqu’au XVIIIè siècle. La pomme de terre est décrite en 1666 par Olivier de Serres, agronome ardéchois, qui la nomme « cartoufle ».

Ce n’est qu’au XVIIIè siècle que les vertus nutritives de la pomme de terre sont reconnues ; elle est plébiscitée pour résoudre les problèmes de famine qui sévissent à cette époque. L’ambassadeur de ce tubercule est Antoine-Augustin Parmentier. Avec le soutien du roi Louis XVI, il fait de la pomme de terre un aliment apprécié des élites, et n’est plus considéré comme un aliment pour les pauvres.

Plus tard, avec la Révolution industrielle, au XIXè siècle, la pomme de terre, bon marché et se conservant bien, a pu apporter aux habitants des villes les calories dont ils avaient besoin. La production de pommes de terre est passée de 1,5 million de tonnes en 1803 à 11,8 millions en 1865. Après la Seconde guerre, elle atteint des records (14 millions de tonnes en 1960, par exemple), avant de commencer à décliner, tant en surfaces qu’en volumes.

La production de pommes de terre actuelle en France est estimée par l’Union nationale des producteurs de pommes de terre (UNPT) à 6 millions de tonnes, sur 110 000 à 115 000 ha, ainsi réparties : conservation (frais, transformation, export) : 4,7 millions ; fécule (amidon avec principal débouché la papeterie) : 1,2 million ; plants : 0,4 million ; primeurs : 0,18 million.

Dans la Loire, la surface déclarée à la Pac 2020 en pomme de terre de consommation dans le département de la Loire est de 235 ha (source DDT de la Loire). Aucune surface en pomme de terre féculière n’a été déclarée. Ce chiffre est en-deçà de la production réelle, qu’il est difficile d’estimer.

Pour mieux connaître la production de pommes de terre dans notre département et ses filières, plusieurs pages de l'édition du 13 novembre 2020 du journal lui sont consacrées. Voici un extrait des témoignages d’agriculteurs et agricultrices ligériens qui ontbien voulu s'exprimer dans ce dossier et qui ont su développer cette production pour des débouchés différents et qui y croient.

Production de plants

La production de pommes de terre existe depuis longtemps dans les monts du Forez, « au moins depuis les années 50, se remémore Thierry Chassagneux, du Gaec de Gruel, basé à Gumières. Ma famille avait déjà 3 ha de pommes de terre en 1961 ». Les conditions pédo-climatiques y sont favorables : « un sol léger », mais aussi « la montagne », avec des températures plus fraîches, « qui limitent le risque de maladies ». C’est pour cela que «historiquement, les plans de pommes de terre sont produits en montagne, dans les monts du Forez. Un gros négociant de pommes de terre achetait les pommes de terre, qui constituaient, pour les agriculteurs, un complément de revenu à celui tiré de l’élevage. » Depuis la constitution du Gaec de Gruel, l’exploitation s’est largement développée. Les désormais six associés (des frères de Thierry Chassagneux, deux neveux et un tiers), qui emploient un salarié, produisent un million de litres de lait et exploitent 200 ha, dont 7 ha de pommes de terre de semence et 18 ha de pommes de terre primeur (dont 90 % sont livrées à Grand frais). 

Le Gaec de Gruel commence à planter les pommes de terre début avril (« C’est de plus en plus tôt ») et termine autour du 10 mai. « Nous utilisons une autre machine, qui permet d’avoir de bons résultats tout en ayant des volumes importants. » La récolte des pommes de terre de semence se fait en général entre le 20 août et fin septembre. Les plants sont stockés en paloxs en bois, dans le bâtiment, isolé et réfrigéré. Les plants de pommes de terre sont livrés à un grossiste, qui lui-même distribue dans des magasins du quart sud-est de la France (Gamm vert notamment). Les livraisons s’échelonnent de début décembre à février, en conditionnement de 25 kg (deux-tiers de la production) et de 3 à 5 kg. «Nous proposons du conditionnement à façon. Il se fait l’hiver, ce qui permet d’occuper la main d’oeuvre», précise Thierry Chassagneux.

Pomme de terre primeur

C’est au milieu des années 90 que le Gaec de Gruel commence à développer la ratte primeur, pour la consommation humaine, avec une commercialisation auprès de magasins Auchan et Leclerc de la région stéphanoise, puis rapidement avec les magasins désormais nommés Grand frais.

Pour la ratte, les premiers plants sont mis en terre à partir du 10 mars et les derniers autour du 10 juin, pour toujours avoir des pommes de terre à vendre, du 10 juin jusqu’à début septembre, et dans des volumes réguliers. La cadence est d’1 ha par jour. « C’est une variété qui a une forme spéciale. Il faut en prendre soin. On plante à la main, mais à l’aide d’une machine. C’est un gage de réussite. » L’irrigation permet d’avoir un cycle régulier de croissance de la pomme de terre, et donc d’avoir des lots qui avancent au même rythme. Tout est donc organisé de manière à répondre aux attentes du client.

Les pommes de terre primeur sont majoritairement livrées aux magasins de la chaîne Grand frais, mais aussi à des magasins Auchan et Leclerc. « Les commandes des clients arrivent le matin à 8 heures, raconte l’agriculteur. Nous arrachons la quantité de pommes de terre en fonction des volumes à livrer. La marchandise est apportée au local pour être lavée, triée et conditionnée. L’après-midi, nous livrons les magasins et les centrales d’achat. Le produit est mis en rayon le lendemain. Il n’y a que le dimanche que nous ne livrons pas. Le samedi, nous livrons pour le dimanche et le lundi. » Pour Grand frais, le Gaec de Gruel livre la centrale de Lyon, qui ensuite expédie une partie des produits à la centrale d’Orléans.

Récolte des pommes de terre au Gaec de Gruel

Vente en gros

Souhaitant vivre des productions végétales cultivées sur son exploitation sans pour autant avoir un mode de commercialisation chronophage, Maxime Pioteyry, à Rive-de-Gier, s’est notamment lancé dans la production de pommes de terre, qu’il vend en particulier à des maraîchers, mais aussi à des magasins bio et à la restauration collective. « Je ne voulais pas une gamme diversifiée de légumes et de tunnel pour les cultiver. Je souhaitais des gros légumes, plantés et récoltés en même temps, dont la culture est mécanisable.» Maxime Pioteyry cultive des pommes de terre depuis son installation. Les deux autres légumes (poireaux et courges) ont été intégrés au fil des années, en fonction des débouchés. « J’ai créé un réseau qui s’est progressivement densifié : magasins, maraîchers. Pour le poireau, je travaille aussi avec une légumerie, qui l’émince, avant de le livrer à des cuisines centrales.» Etant seul sur l’exploitation, l’agriculteur voulait aussi éviter de « tomber dans un système de vente directe qui prenne beaucoup de temps, comme par exemple les marchés. Je tenais à ma liberté dans mon organisation. Dans ce système, je passe peu de temps à la commercialisation de mes produits. »

Plus précisément, «les ventes commencent en septembre et se poursuivent jusqu’à fin mars ; c’est une période où l’activité extérieure sur l’exploitation est plus faible pour les céréales et les légumes. » Ainsi, l’automne et l’hiver sont consacrés à la récolte des légumes, mais surtout au tri et à la vente. « J’ai trouvé un équilibre entre le travail pour les céréales et celui pour les légumes. »

Les débouchés pour la production de pommes de terre « sont venus petit à petit. Le bouche à oreille a bien fonctionné. J’ai su saisir des opportunités. » Mais Maxime Pioteyry avoue que son ancien travail de contrôleur Ecocert lui a servi : « Dès le départ, je connaissais la filière et je savais que des maraîchers achetaient des pommes de terre. J’ai pu me constituer un réseau d’acheteurs très rapidement. » L’agriculteur a également diffusé des petites annonces pour vendre le reste de son stock. « J’ai pu entrer en contact avec des gens à la recherche de pommes de terre et avec qui je continue maintenant à travailler. » La majorité des clients de Maxime Pioteyry se situent dans la Loire et le Rhône, mais d’autres sont en Ardèche, en Isère, en Haute-Savoie. La revente à des maraîchers représente 70 % des débouchés. L’agriculteur livre aussi une partie de sa production dans des magasins spécialisés en bio (BioCoop) et à la restauration hors foyer par l’intermédiaire de la plateforme BioAPro.

Récolte des pommes de terre de Maxime Pioteyry

Pour les chips

Dans la plaine du Forez, lorsque l’on évoque la production de pommes de terre, le nom de la famille Cambray y est inévitablement associée. Basée à Saint-Laurent-la-Conche, elle est effectivement une référence en la matière, tant par l’ancienneté dans cette production que par les surfaces cultivées. Richard Cambray s’est installé sur l’exploitation familiale, avec son père, en 1995, après avoir été aide familial pendant dix ans. « Mon père produisait déjà de la pomme de terre», raconte-t-il. 

En 2014, Richard Cambray a eu vent que Altho implantait une usine à Valence, dans la Drôme. Altho est une entreprise bretonne spécialisée dans la chips (3è rang français). Outre sa marque Bret’s, elle fabrique des chips pour la quasi-totalité des enseignes françaises de la grande distribution. L’agriculteur forézien a immédiatement contacté les responsables de cette entreprise. Démarche qui a aboutit à une contractualisation pour la production de pommes de terre. « C’était l’occasion pour nous de moins travailler avec la grande distribution, avec laquelle nous faisions du chiffre d’affaire mais pas de rentabilité », avoue Marie-Dominique Cambray, l’épouse de Richard. La première récolte de pommes de terre pour Altho s’est faite en 2015.

Actuellement, l’EARL Cambray (société constituée entre Marie-Dominique et Richard) exploite 136 ha, dont 86 sur la commune de Saint-Laurent-la-Conche. L’EARL produit des pommes de terre de consommation et des pommes de terre pour l’industrie de la chips. Les pommes de terre de consommation sont vendues à la chaîne de magasins Gamm vert, à des restaurants, des traiteurs, des collectivités, et également à des particuliers. Les clients viennent directement s’approvisionner à Magneux-le-Gabion (même actuellement pendant le confinement

Le mode de récolte est simplifié : un tracteur pour tracter l’arracheuse, personne sur la machine, un tracteur et une benne qui suivent l’avancement du chantier pour recueillir les pommes de terre et les acheminer au hangar de stockage. La récolte commence début septembre et se prolonge sur à peu près un mois. 

Récolte des pommes de terre destinées à la fabrication des chips.

C’est le principe « d’achat à la terre » qui est en vigueur  : « une fois récoltées, les pommes de terre appartiennent à Altho. » Elles sont stockées dans des hangars à Magneux-le-Gabion. A la récolte, chaque lot est analysé, et mis à part si nécessaire. 

Il faut savoir que les hangars situés à Magneux-le-Gabion sont mis à disposition d’une SAS (Etablissements Cambray), dont les actionnaires sont les membres de la famille Cambray (parents et enfants). La SAS se positionne comme prestataire de services vis à vis d’Altho : gestion des stocks de pommes de terre, transport, ceci pour les pommes de terre cultivées par l’EARL Cambray, mais aussi celles des autres producteurs foréziens ayant un contrat avec Altho.

Lucie Grolleau Frécon

 

La totalité des témoignages est à retrouver dans l’édition papier de Paysans de la Loire du vendredi 13 novembre 2020.