Ingénieur de recherche à l'Inrae de Clermont-Ferrand, Patrick Veysset présente les résultats d'une étude sur les structures, les pratiques, la productivité et la profitabilité des élevages bovins allaitants.

Trente ans d'évolution économique des élevages
Patrick Veysset estime que « l'enjeu est de savoir comment faire pour capter et créer de la valeur ajoutée à la production. L'engraissement à l'herbe peut être une piste. »

Passer trente ans d'histoire de l'élevage bovin allaitant en revue en une heure est un sacré challenge qu'a relevé Patrick Veysset, ingénieur de recherche à l'Inrae de Clermont-Ferrand. Dans le cadre du voyage d'étude organisé par la Chambre régionale d'agriculture de Bourgogne-Franche-Comté dans la Loire, cet ingénieur de recherche au sein de l'Inrae à Clermont-Ferrand était venu présenter une étude sur les structures, les pratiques, la productivité et la profitabilité des élevages bovins allaitants. Une rétrospective des résultats économiques de ces élevages portant sur les trente dernières années.

Son premier constat est le suivant : en élevage bovin, sur la période concernée, la productivité du travail a été très forte et cela est intervenu en parallèle d'une simplification accrue des pratiques. Néanmoins, le revenu des éleveurs a stagné. La question qu'on se pose alors est la suivante : comment les gains de productivité se sont-ils partagés au sein de la filière ? Sur la période 1988-2018, les surfaces d'exploitation ont augmenté (+90 %), ainsi que les effectifs d'animaux (+75 %). Dans le même temps, la main d'oeuvre baissait de 5 %. La SAU par rapport aux unités de main d'oeuvre a plus que doublé alors que le revenu par UTH stagnait. En 30 ans, la productivité du travail a progressé de 1,92 % par an alors que celle du foncier baissait de 0,22 % par an. Cela traduit une tendance à l'extensification des exploitations.

Une hausse qui masque une baisse

L'efficience technique du système d'exploitation (les consommations intermédiaires et le capital) a elle aussi baissé de 0,62 % par an. « Tout a été fait pour produire plus par travailleur, constate Patrick Veysset, mais rien n'a été fait pour produire mieux ». L'ingénieur s'est aussi penché sur un grand nombre de critères économiques : « Sur 30 ans, les aides à l'agriculture ont augmenté, le prix moyen des fermages a baissé, tout comme les taux d'intérêt dans l'apport de capitaux, mais aussi le profit des exploitants. On peut aussi prendre en compte la baisse du prix des céréales, et donc le gain pour les acheteurs, mais aussi celle du prix de la viande. En fait, la hausse de la productivité du travail a masqué la baisse de productivité de nombreux autres facteurs ».

La présentation de Patrick Veysset était enrichie d'un exemple portant sur 43 exploitations charolaises suivies par l'Inrae sur 26 ans. Leurs SAU a crû de 54 % et leur troupeau de 50 %. Sur cette période, on constate aussi une baisse de la productivité numérique des mères. Entre 1990 et 2017, la part des broutards dans le total des ventes de ces exploitations est passée de 40 % à plus de 70 %. Les taurillons gras de 17 mois sont restés stables à 20 % du total. La productivité pondérale des animaux a augmenté en moyenne de 9 %. « Ce qu'on constate sur cette période, poursuivait l'ingénieur de l'Inrae, c'est une certaine standardisation et un élevage des animaux plutôt à l'auge, en lien avec la simplification des pratiques ».

Mieux capter la valeur ajoutée

L'étude note également qu'en 1990, les besoins énergétiques des animaux étaient couverts à 87 % par des fourrages. Aujourd'hui, c'est moins de 80 %. La hausse des charges, notamment de mécanisation, est également pointée : elles représentaient 30 % du total des charges en 1990, mais 40 % aujourd'hui. En parallèle de cette hausse de la mécanisation, on note également une hausse de l'utilisation des concentrés dans l'alimentation des animaux. Selon Patrick Veysset, « l'agrandissement et la simplification des pratiques s'opposent à l'efficience des systèmes de production : on valorise moins bien la génétique. En bovins allaitants, les économies d'échelle, ça ne marche pas. En revanche, elles permettent de capitaliser, ce qui est bon pour la retraite de l'exploitant ».

Face à ce constat, l'ingénieur se demande si, finalement, on valorise suffisamment les ressources internes des exploitations, avant d'aller chercher des solutions technologiques externes. « L'enjeu, poursuit-il, c'est de savoir comment faire pour capter et créer de la valeur ajoutée à la production. L'engraissement à l'herbe peut être une piste, il y a aussi la rémunération des services rendus par l'élevage (stockage de carbone, qualité de l'eau, biodiversité) ». Trop souvent, les gains de productivité apparaissent captés par l'aval de la filière : « Dans le prix payé par le consommateur, conclut Patrick Veysset, il y a de plus en plus de services (conditionnement, transformation) et de moins en moins de matière... »

 

Berty Robert