Droit des femmes
Denise Bastide, première femme députée de la Loire

Voter est aujourd’hui un acte qui paraît simple. Être élue aussi. Pourtant, les femmes françaises n’ont ce droit que depuis le 21 avril 1944, soit 80 ans. Dans la Loire, Denise Bastide devient députée (PCF) le 21 octobre 1945.

Denise Bastide, première femme députée de la Loire
Denise Bastide, première femme députée de la Loire, était aussi engagée dans des associations de défense du droit des femmes. ©DR

Dans les veines de Denise Bastide coulait déjà un sang militant. Elle naît sous le nom d’Eva Marie Denise Simon, le 23 décembre 1916 à Aurillac, dans une famille de syndicalistes. L’année de ses 20 ans, elle interrompt ses études d’infirmière pour devenir militante active au sein du Parti communiste français.

« Elle est bachelière, ce qui est assez rare pour une fille, à cette époque », précise Jean-Michel Steiner, historien et enseignant ayant écrit une thèse sur le Parti communiste français (PCF) de 1944 à 1958 dans la Loire. 

Déportée à Ravensbrück

La Seconde guerre mondiale la fait basculer dans la Résistance. Dès 1941, elle participe au Secours populaire français et au Front national de lutte pour l’indépendance dans la Loire. Si Denise Bastide évite l’emprisonnement à Vichy en juin 1942, elle est arrêtée le 13 avril 1943 à Montluçon par la police. Comme de nombreux Résistants, la jeune femme est soumise à la torture. De Saint-Étienne, elle est transférée à Lyon où elle est condamnée à six ans d’emprisonnement. Elle est alors déportée au camp de Ravensbrück puis à Zodwau (Allemagne) où elle est délivrée par les Alliés le 7 mai 1945. La déportation détériore sa santé. 


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Alors qu’elle est emprisonnée en Allemagne, les femmes obtiennent le droit de vote, et, de fait, celui d’être élues. C’était le 21 avril 1944. Si Denise Bastide ne voit pas cet aboutissement, elle est candidate aux élections cantonales de septembre 1945 puis aux législatives, le mois suivant. « D’autres partis ont présenté des femmes lors de ces votes, mais jamais elles n’étaient en position d’éligibilité, détaille Jean-Michel Steiner. C’était notamment le cas de l’URP (Union des républicains de progrès). C’était un vrai choix, assumé, des communistes, que de placer une femme en deuxième place sur leur liste pour qu’elle soit élue. » Denise Bastide devient députée de la Loire le 21 octobre 1945 aux côtés de Marius Patinaud et Albert Masson. La liste rassemble presque 89 000 voix sur les 307 000 suffrages exprimés. La militante fait alors partie des 33 premières femmes françaises à obtenir ce mandat. 

Défense de la Loire 

D’après l’historien, Denise Bastide bénéficiait d’une « certaine popularité », notamment auprès du monde ouvrier. Membre de la commission de la famille, de la population et de la santé publique, elle dépose une proposition de loi visant notamment à améliorer le contrôle médical dans les écoles. La députée, toujours en seconde place sur la liste communiste, est réélue aux législatives de novembre 1946. 

Très active, la Ligérienne d’adoption fait aussi partie de la commission sur le travail et la sécurité sociale et de celle sur la justice et la législation. Denise Bastide est élue secrétaire de l’Assemblée nationale le 3 décembre 1946, poste auquel elle sera réélue le 11 janvier 1949 alors qu’elle avait donné sa démission un an auparavant. La députée est aussi à l’origine d’une proposition de loi visant à modifier l’assiette du calcul des allocations familiales, le 9 octobre 1948. Elle prend régulièrement la parole dans les discussions parlementaires : elle aborde les questions autour de la protection sociale, du statut social et de la situation de Saint-Étienne et de la Loire. En 1949, elle dépose une demande d’interpellation à propos du chômage qui sévit à la Manufacture d’armes et de cycles. 

Soutien des grévistes en 1947

En 1947, elle fait partie d’un groupe de députés qui fait obstruction à la tribune, évoquant à plusieurs reprises les grèves générales à Saint-Étienne. Menacée de censure, elle y échappe, rappelant son serment prêté à Ravensbrück. En décembre, elle vote contre la loi sur la protection de la liberté du travail. Pour défendre les mineurs grévistes, la députée ligérienne écrit pour le journal du Secours populaire, La Défense. 

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Aux élections de 1951, Denise Bastide est seconde sur la liste d’Union républicaine, résistante et antifasciste. Elle est élue députée une troisième fois et fait alors partie de la commission justice et législation. 

50 000 personnes pour l’enterrement
A côté de ses engagements politiques, Denise Bastide est aussi la responsable de l’Union des femmes françaises (aujourd’hui Femmes solidaires) de 1945 à 1947. Cette association, qui connaît ses prémices dès 1941 avec les comités féminins de la Résistance, œuvre pour la défense et l’avancée du droit des femmes, la parité et la solidarité internationale. L’Union des femmes françaises est affiliée à la Fédération démocratique internationale des femmes (FDIF), une organisation féminine, proche du mouvement féministe, que Denise Bastide représente en Grèce en 1949. 

« Denise Bastide a eu une histoire de famille compliquée. D’abord mariée à un ébéniste, elle divorce puis devient la compagne d’un député communiste, Georges Gossnat, dont elle a deux enfants, raconte Jean-Michel Steiner. Survient alors la séparation et on rentre dans le trouble. » La députée ligérienne se suicide le 1er mars 1952. « La presse communiste de l’époque explique ce geste par les difficultés liées à la déportation. Mais une autre hypothèse le lie à sa séparation. »

L’enterrement a lieu au début du mois de mars 1952. « Il y a eu un grand défilé, parti de la Bourse du travail à Saint-Étienne, jusqu’au Crêt-de-Roc. Le journal dit que 50 000 personnes étaient présentes. Pendant longtemps, le PCF a organisé des cérémonies devant sa tombe... » 

Si la Loire a fait partie des premiers départements à élire une femme aux élections législatives, après le décès de Denise Bastide, il faudra attendre 2017 et l’élection de Valérie Faure-Muntian (3e circonscription) et celle de Nathalie Sarles (5e circonscription) pour retrouver des femmes députées ligériennes. 

Alexandra Pacrot