Viticulture
Un excellent millésime à venir, mais des carences en quantité

A quelques jours du terme des vendanges – période atypique lorsque l’on consulte le calendrier –, il semble opportun de dresser un bilan des territoires ligériens (Roannais, Forez, Vallée du Rhône) auprès de professionnels. Entretien.

Un excellent millésime à venir, mais des carences en quantité
Malgré la quantité de production qui fait défaut dans la grande majorité des vignes, souvent pour cause d’aléas climatiques, les viticulteurs s’attendent toutefois à des millésimes excellents, pour ne pas dire exceptionnels.

Roannais, Forez, vallée du Rhône : sur ces trois territoires viticoles bien connus des Ligériens, il est de bon ton d’apporter quelques éclairages sur la situation en matière de vendanges et les éléments qui gravitent autour. A commencer par les dates de début et celles, jusqu'alors estimées, de fin. Thierry Farjon, président de La Loire aux 3 vignobles, implanté dans la région vallée du Rhône-Condrieu, informait que « les vendanges ont débuté le 29 août. C'est d'ailleurs la première fois que je vendange ce mois-ci, puisque, même lors de la canicule de 2003, on avait commencé le 3 septembre. D'ordinaire, on démarre à la mi-septembre. » 

Comparé aux années précédentes, ce début de vendanges prématuré s’applique également dans le Forez, comme le confiait Jean-Luc Gaumon, gérant du Domaine du Clos de Chozieux, à Leigneux : « De toute façon, lorsque l’on compare avec l’an dernier, où l’on avait commencé la dernière semaine de septembre, on a au moins trois semaines d’avance. On a débuté autour du 3 septembre. » 

Jamais deux sans trois, le Roannais s’invite dans la partie, avec Edgar Pluchot, viticulteur saint-albanais et représentant roannais de l'Association viticole Forez Roannais (AVFR), qui rejoint l'avis de ses homologues : « Des collègues ont attaqué fin août, notamment dans les pétillants. Mais globalement, on a un mois d’avance par rapport à l’an dernier, par exemple, qui était une année atypique ».

Les aléas climatiques

Atypique, oui, car pour débuter les vendanges aussi tôt, le responsable est tout trouvé : le climat, qui a apporté son lot de (mauvaises) surprises, entre l’épisode de gel, la grêle et les fortes chaleurs printanières et estivales. Du côté de la vallée du Rhône, Thierry Farjon se voulait très nuancé : « On est dans une année très bizarre. On a eu un passage très chaud et très sec, ce qui a avancé certaines maturités à certains endroits et a reculé à d'autres. Mais la vigne a vraiment souffert cette année. Honnêtement, sur les trente millésimes que j'ai faits, c'est la première fois que je vois une année aussi sèche. » En revanche, grâce à un système de tir de ballons (gonflés à l'hélium et chargés de sel qui se diffuse dans les nuages, NDLR) pour faire fondre la grêle avant qu'elle ne tombe, les risques ont été particulièrement minimisés. « Finalement, c'est surtout le printemps, très sec, qui a été compliqué. Arrivé fin-juin, on était à 50 % de déficit en eau par rapport aux années normales », poursuivait-il. Toutefois, le vigneron de la région vallée du Rhône-Condrieu estime son année sauvée « grâce aux 100 mm de pluie tombées au mois d'août, dont un orage qui a donné plus de 50 mm aux alentours du 15 du mois. On le voit à la végétation, elle reverdit partout, alors que tout était grillé avant. »

Du côté du Forez, Jean-Luc Gaumon se justifie en prenant pour exemple l'année 2021 : « Toute la campagne dernière, c’était plutôt humide. Cette année, le climat était très sec, même si la grêle a amputé quelques belles surfaces en vignoble.  Mi-juin, il y a eu un rayon de grêle qui a commencé sur les communes de Marcoux, Trellins, Sainte-Agathe-la-Bouteresse. C'est au minimum une quinzaine d’hectares de vignes qui ont particulièrement souffert et qui ont été très impactés par la grêle. Cela pouvait être de l’ordre de 50 % de pertes jusqu’à parfois la totalité. Un ou deux viticulteurs de Sainte-Agathe-la-Bouteresse ne sont pas allés vendanger sur plusieurs de leurs parcelles. »

Se considérant comme épargné des aléas pour cette saison, Edgar Pluchot préfère profiter de la chance relative concernant son territoire de prédilection : « De notre côté, on fait figure de miraculés quand on voit les aléas climatiques. On est passé entre les gouttes. On se rend compte que le sec est quelque chose d’un peu insidieux, parce qu’on ne le voit pas arriver et finalement, quand on fait le bilan des récoltes, c’est un peu l’équivalent de prendre un coup de grêle sur un secteur. Mais on ne se plaint pas. ». Celui-ci se permet même un trait d'humour de cinéphile : « Étant fan de cinéma, je suis obligé de faire un parallèle avec le film Matrix, où le personnage principal évite les balles. Et j’ai l’impression que l'on en a évité pas mal cette année, entre le gel, les épisodes de grêle et les chaleurs. »

La qualité plutôt que la quantité

Au final, les acteurs de ces trois territoires sont relativement en accord sans avoir besoin de se concerter : peu de production, mais certainement un excellent millésime. Pour Thierry Farjon, par exemple, « d'un point de vue volumes, il va nous manquer autour de 25 % de production. Mais côté qualité, on est sur un superbe millésime. On va avoir des vins qui vont être très riches, très concentrés, avec beaucoup de couleur, point que l'on remarque déjà depuis le début des vendanges. On part sur un millésime du style 2018, où l'on entrait de très belles maturités. Je pense que c'est l'un des plus beaux millésimes que l'on ait fait ». A l'image du sec qui aura parfois joué en leur défaveur, « la chaleur renforce la sucrosité. Quand vous avez des fruits sur un arbre, avec beaucoup de chaleur et pas forcément beaucoup d'eau, vos fruits ont tendance à être plus petits, mais beaucoup plus sucrés. On concentre le sucre à l'intérieur du fruit. Sur la vigne, c'est exactement pareil. Le fait d'avoir des raisins qui n'ont pas trop grossis, on a forcément plus de concentration, ce qui va donner des vins plus riches. »

Plus terre-à-terre, Jean-Luc Gaumon anticipait depuis plusieurs années les potentiels imprévus extérieurs pour ne pas voir sa production être intégralement chamboulée : « Cela fait 25 ans que le terme « qualité » a été adopté dans notre façon de travailler. Ce n’est plus comme il y a 60 ans où il fallait nécessairement que la vigne fasse beaucoup de fruits. La qualité du vin s’en ressentait. Maintenant, on cherche avant tout la qualité. Le millésime de cette année est très prometteur car la rentrée des vendanges est très saine et très mûre. Comme tout type de fruits, quand ils sont sucrés, c’est bien plus plaisant à manger et faire du vin avec ». Lorsque celui-ci a effectué les prélèvements peu de temps avant les vendanges, le taux de sucre était relativement élevé et les peaux étaient très colorées. « Alors, pour l’instant, on ne peut pas dire que l’on aura des vins très colorés, car pas mal de facteurs au cours de la vinification peuvent influer. Mais les fruits que l’on a rentrés sont de très belle qualité pour sortir des vins qui seront d’un beau millésime », ajoute-t-il.

Quant au Roannais, là encore, si la production est fortement impactée, Edgar Pluchot reste serein, qualitativement parlant : « C ’est toujours moins que ce que l’on pourrait produire, c’est sûr, mais je pense que l’on s’oriente vers un millésime d’une qualité exceptionnelle. Actuellement, on est dans les tout débuts, on déguste la transformation du jus de raisin en vin. Mais ça sent particulièrement bon dans toutes les caves. Les clients vont être contents, il va y avoir du très bon vin, mais les vignerons vont être un peu déçus parce qu’il n’y en aura pas assez. »

Axel Poulain