Manifestation
« C’est bientôt la faim ? »

Mardi 21 novembre, les agriculteurs du département se sont mobilisés à l’appel de la FDSEA et de Jeunes agriculteurs pour exprimer leur colère face aux politiques publiques et à l’attitude de la grande distribution. Juste rémunération des exploitants, consommation de produits français et pédagogie étaient au cœur de leur action dans des grandes surfaces. 

« C’est bientôt la faim ? »
Examiner les étiquettes des produits mis en rayon dans les enseignes de la distribution et sortir ceux qui sont importés, telle était le mot d’ordre donné par les responsables de la FDSEA et de JA Loire ce mardi 21 novembre. Pour souligner leur colère, les agriculteurs ont posés des étiquettes jaunes fluo « Stop aux produits étrangers » pour remplacer les prix affichés.

« Transformée en France, viande originaire d’Espagne », crache un agriculteur dégoûté en jetant une pile de paquets de tranches de jambon dans un chariot. « Origine UE », lâche un autre en appliquant une étiquette jaune fluo « Stop aux produits d’origine étrangère » à la place du prix. Ce mardi 21 novembre, les agriculteurs de la Loire mènent une action dans des grandes surfaces à Roanne, Montbrison, Andrézieux-Bouthéon et Villars, pour dénoncer le nombre de produits importés présents dans les rayons. 

Dans le bassin stéphanois, ils sont une bonne quarantaine à avoir répondu à l’appel de la FDSEA et des Jeunes agriculteurs. Ils étaient autant à Montbrison ainsi qu’à Roanne. Sur le rond-point, devant le Leclerc d’Andrézieux-Bouthéon, ils ont posté deux tracteurs. D’autres se sont installés devant les enseignes visitées dans le Forez (Fresh, Aldi et Netto) et le Roannais (Carrefour et Intermarché). Impossible de rater la grande bâche tendue qui résume en quelques mots leur colère : « Alimentation française, bientôt la faim... ? » 

« On nous met des bâtons dans les roues »

Devant les tracteurs postés à Andrézieux-Bouthéon, Jean-Luc Perrin, le président de la FDSEA, harangue des troupes déjà convaincues. « On se bat pour que demain on puisse continuer à faire notre métier, mais on nous met des bâtons dans les roues ! » tempête l’agriculteur avant d’énumérer les nombreux obstacles auxquels sa profession est confrontée au quotidien : jachères imposées qui empêchent toute production économique ; développement des zones sensibles ; importation de produits étrangers - notamment de la viande bovine - pas soumis aux mêmes normes ; augmentation de la redevance pour la pollution diffuse (plus 22 % prévus dans la loi finances 2024) et du prix du prélèvement de l’eau (plus 40 % dans le même texte)... 

« On nous impose des normes dans tous les sens et on nous supprime nos moyens de production, fulmine Jean-Luc Perrin de la FDSEA. Avec la directive IED, on veut classer nos exploitations familiales en exploitation industrielle ! Et en prairie sensible, comme à Noirétable où on en a vu débarquer des hectares entiers, même si le soleil brûle la terre, on ne peut rien faire ! » Les agriculteurs réclament un peu « de pragmatisme et de bon sens » pour assurer la souveraineté alimentaire de l’Hexagone.

De son côté, Nicolas Lenoir, président de JA Loire et présent à Roanne, a pu exprimer sa déception quant au PLOA (Pacte et loi d'orientation et d'avenir agricoles) : « Il est vide. Un gros travail a été fourni depuis un an, beaucoup d’annonces ont été faites. Finalement, le budget alloué à la transmission-installation n’est pas à la hauteur de l’enjeu. C’est la même chose pour le changement climatique. Les agriculteurs veulent bien s’adapter, mais ils doivent en avoir les moyens. Quelle agriculture veut le gouvernement demain ? »

« On sort tout ce qui n’est pas français »

Pour faire entendre leurs revendications, les agriculteurs ligériens envahissent les rayons des grandes surfaces. « On sort tout ? » demande l’un d’eux dans le rayon charcuterie du Leclerc d’Andrézieux. « Ouais, tout ce qui n’est pas français », martèle l’un de ses collègues, les bras déjà pleins de paquets de jambon. 

François Garrivier, vice-président de la FDSEA présent à Montbrison, est peu amène envers la grande distribution. « Jusqu’à présent, elle jouait plutôt bien le jeu de l’approvisionnement français. Elle le fait beaucoup moins depuis la vague inflationniste. La distribution est entrée dans un bras de fer avec les entreprises agroalimentaires. La pression qu’elle met sur les prix est infâme. La distribution est vent debout contre la loi Egalim et elle fait tout pour s’en affranchir. Or, cette loi protège les prix de nos produits ! » 

Dans le Forez, les JA sont présents en nombre, probablement la preuve qu’ils s’inquiètent pour leur avenir. « Encore plus que les autres agriculteurs, les jeunes installés ne peuvent pas se permettre de vendre des produits en-deçà de leur coût de production. La distribution ne peut pas se cacher uniquement derrière le pouvoir d’achat. Elle doit se poser la question du bilan carbone des produits importés », analyse Mathieu Vassel, membre du bureau du syndicat, en charge du dossier de l’installation. 

« Il n’y a pas de surprise »

Une cliente s’agace de l’action menée dans la grande surface andrézienne. « Tout ça pour deux tranches de jambon ! » s’exclame-t-elle. Personne ne s’énerve et Maxime Brun, secrétaire général de la FDSEA, tente un peu de pédagogie. « Les produits d’importation sont aux prix des produits français. » On vérifie, au kilo, le jambon d’origine espagnole coûte 23 euros. Le français, 16 euros. « Vous enlevez tout ce qui est étranger. Mais il n’y aura plus rien ! » s’étonne une autre cliente. Les agriculteurs approuvent : c’est bien le but de la manœuvre. 


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Les chariots croulent sous les produits, ils sont chaque fois abandonnés à l’entrée des magasins. Maxime Brun leur jette un œil déconfit : « On le savait, il n’y a pas de surprise. » De son côté, Nicolas Lenoir s’agace : « Nous avons remarqué que les produits de marques des distributeurs (MDD), vendus moins chers, sont plus souvent d’origine française alors que les produits de grande marque, plus onéreux, proviennent de l’Union européenne et au-delà. »

10 % du prix revient à l’agriculteur

En fin de matinée, à Roanne comme à Montbrison, une délégation de représentants de la FDSEA et de JA Loire est reçue par le sous-préfet (Hervé Gérin pour le nord et Jean-Michel Riaux pour le centre du département). La veille, des responsables professionnels avaient fait le tour de différents commerces afin de repérer ceux qui jouent le jeu de l’approvisionnement français et ceux qui mettent en rayon des produits dont l’étiquetage de la provenance est douteux. Ils en ont profité pour en acheter quelques-uns afin de les remettre aux représentants de l’État mardi. Le président de la FDSEA et celui des JA Loire ont eu le même geste symbolique envers le préfet lors de la session de la Chambre d’agriculture de la Loire le lendemain. 

« Il faut savoir que la part qui revient à l’agriculteur représente 10 % du prix de vente du produit et que la part de l’alimentation dans le budget moyen des français représente 15 %. Cette proportion ne justifie pas de faire porter aux agriculteurs la hausse du pouvoir d’achat et de vouloir rouvrir les négociations commerciales pour baisser les prix à la consommation », estime Julien Derory, président de la section lait de la FDSEA. « D’autant plus que les coûts de production sur les exploitations n’ont pas baissé, contrairement à ce que la distribution veut laisser croire », assure François Garrivier.

 

#onmarchesurlatete

Dans le cadre de l’action syndicale nationale FNSEA-JA, en complément des mobilisations dans les grandes surfaces et devant les préfectures et sous-préfectures, les agriculteurs ligériens étaient invités à retourner les panneaux d’entrée de ville.

Un peu partout dans le département, ces derniers jours, des panneaux d’entrée de villes et de bourgs ont été déboulonnés et remontés à l’envers par des agriculteurs du réseau FDSEA et Jeunes agriculteurs Loire. Objectif : faire passer le message « on marche sur la tête ». Sur certains panneaux, des autocollants reprenant ce slogan ont été apposés.

De manière symbolique et en complément des mobilisations du mardi 21 novembre, le syndicalisme majoritaire a souhaité alerter les pouvoirs publics, les collectivités et les citoyens, qui sont nombreux à passer devant les panneaux de leur commune au quotidien, sur la gravité de la situation actuelle mettant en péril l’agriculture française et l’alimentation de la population française. L’argumentaire est décliné dans l’article ci-dessus.

L’association des maires de la Loire avait été prévenue de cette action par un courrier adressé par la FDSEA et Jeunes agriculteurs. Les agriculteurs du département ont été nombreux à conduire cette opération dans leur commune et à poster des photos sur les réseaux sociaux, lui donnant une plus large visibilité.

Lucie Grolleau Frécon et Alexandra Pacrot