La journée du lundi 26 juin marquera officiellement le 90e anniversaire de la création de l’AS Saint-Etienne. Pour l’occasion, Philippe Gastal, historien du club et conservateur du musée des Verts, revisite l’histoire de l’ASSE à travers six dates clés.
Après une saison éprouvante, l’AS Saint-Etienne a fini 8e de Ligue 2. De quoi fêter avec un peu plus de sérénité le 90e anniversaire d’un club historique du football hexagonal, même si le Paris Saint-Germain vient de lui ravir un record en décrochant son 11e titre de champion de France.
26 juin 1933
La naissance du club
« La bonne nouvelle arrive sur le bureau de Pierre Guichard, le premier président de l’AS Saint-Etienne. Par courrier, la Fédération française de football association (devenue depuis la Fédération française de football, NDLR) l’informe que le club a désormais l’autorisation “d’utiliser des joueurs professionnels”. En France, le football professionnel est né le 11 septembre 1932 avec la première journée de championnat. Saint-Etienne ayant déposé son dossier un peu tard, le monde du professionnalisme est donc déjà engagé et les Verts doivent débuter en deuxième division, dans la poule Sud, en septembre 1933. Une nouvelle étape dans l’histoire entamée après la Première Guerre mondiale avec la création d’un club omnisports en 1919 : l’AS Casino (ASC). À la suite de l’interdiction d’utiliser des dénominations commerciales, il laisse la place à l’Amical sporting club, qui reprend les mêmes initiales. En 1927, celui-ci devient l’Association sportive stéphanoise (ASS), qui épouse déjà les couleurs vert et blanc des établissements Casino fondés par Geoffroy-Guichard. Jusqu’en 1933, l’ASS a le statut amateur et Pierre Guichard, visionnaire, veut doter la ville et le club avec une structure professionnelle, d’où la création de l’Association sportive de Saint-Etienne. »
19 mai 1957
Le premier titre fêté
« C’est véritablement ce soir-là, à Geoffroy-Guichard, que l’ASSE, sacrée une semaine plus tôt à Strasbourg, fête son premier titre de champion de France. Son premier véritable trophée, deux ans après la coupe Drago (compétition organisée de 1953 à 1965, remportée aussi en 1958, NDLR). Les Verts battent Rennes 2-0 (buts de René Ferrier et Kees Rijveers, NDLR) et c’est l’une des dernières rencontres où l’on peut apercevoir la piste d’athlétisme qui entourait la pelouse depuis la construction du stade. Après la création du club en 1933, 1950 constitue une deuxième naissance. Il rencontre des difficultés financières et doit même être sauvé par la mairie de Saint-Etienne. Revenu aux affaires, sept ans après avoir démissionné pour montrer son désaccord avec le régime de Vichy et les décisions du colonel Pascot imposant un passage des clubs au statut amateur au profit d’équipes fédérales récupérant les joueurs professionnels, Pierre Guichard impulse une nouvelle politique sportive. Celle-ci repose sur trois hommes qu’il recrute : Jean Snella, nommé entraîneur général ; Charles Paret, qui arrive de Casino pour occuper le rôle de secrétaire général ; Pierre Garonnaire, recruteur et extraordinaire découvreur de talents. Le premier prône un amalgame de jeunes joueurs et d’éléments plus expérimentés. A l’orée de la saison 1955-1956, il réunit l’effectif de la section amateurs et lui lance : “Si vous êtes champions de France, je vous incorporerai en majorité dans l’équipe première la saison suivante.” Et c’est ainsi qu’un an plus tard, les Tylinski, Ferrier, Peyroche rejoignent Rachid Mekloufi, un stratège jeune mais déjà extraordinaire, et les “anciens” comme Claude Abbes, René Domingo, François Wicart ou encore Jean Oleksiak. Le titre qu’ils décrochent vient couronner une tranche de sept ans de la vie du club. Rien ne se fait du jour au lendemain et on s’est aperçu avec le temps que les meilleurs résultats stéphanois ont toujours été obtenus en trouvant le juste équilibre. »
6 novembre 1974
Le foot français décomplexé
« Pour moi, c’est la date fondatrice de l’épopée des Verts jusqu’en 1977, qui va décomplexer le football hexagonal avec une continuité dans les résultats jusqu’à 1998 (lorsque les Bleus remportent la Coupe du monde, NDLR). Ce soir-là, une équipe française a montré à l’Europe entière qu’elle n’avait rien à envier aux plus grands clubs du continent, avec un scénario incroyable. Après la défaite 4-1 à Split lors du match aller, les Stéphanois l’emportent 5-1 après prolongation. En face, il y avait quand même un très bel adversaire, dont les joueurs constituaient l’ossature de la sélection yougoslave qui venait de disputer la Coupe du monde (la France, elle, n’était pas qualifiée, NDLR). Au travers de ce renversement de situation – une remontada dirait-on aujourd’hui – on a découvert cette communion extraordinaire, cette fusion entre le public et son équipe. C’est d’ailleurs à la suite de cette rencontre qu’un journaliste yougoslave emploie l’image d’un chaudron pour qualifier Geoffroy-Guichard. Pourtant, il n’y avait “que” 26 381 spectateurs. Le stade n’était pas plein car on pensait qu’une équipe française allait encore être éliminée au 2e tour de la Coupe d’Europe. À tel point que le match n’était même pas retransmis par la télévision ! Personne n’y croyait. C’est l’un des rares matches de Coupe d’Europe de l’épopée que j’ai loupés car mon père et moi n’étions pas venus à Saint-Etienne. J’avais écouté le match à la radio, je me revois encore sur mon lit… Outre le fait d’avoir réveillé le football français, cette victoire est devenue une référence pour l’AS Saint-Etienne, qui a réédité ce genre de performance en 1975 contre Kiev (0-2, 3-0 a.p.) ou contre Nantes deux ans plus tard, en demi-finale de Coupe de France (0-3, 5-1). Elle a donné confiance à l’entraîneur, Robert Herbin, dans son approche avec une préparation athlétique intense. C’était la voie royale et, pendant trois ans, l’ASSE a été pratiquement sur le toit de l’Europe. »
11 mai 1985
Record de spectateurs à Geoffroy-Guichard
« Dans sa configuration pour l’Euro 1984, le stade Geoffroy-Guichard contient à l’époque 48 270 places. 47 747 spectateurs assistent officiellement à ce quart de finale aller de Coupe de France contre Lille, mais, pour avoir été présent dans le kop Nord, je peux vous garantir qu’il y avait plus de 50 000 personnes. C’est l’un des seuls matches que j’ai vu de profil, je n’ai pas pu me remettre droit ! Quand Roger Milla a marqué l’unique but de cette rencontre, tout le monde est descendu d’une dizaine de mètres d’un seul coup. Je me suis retrouvé aux grillages sans toucher terre ! C’était même dangereux, j’y ai pensé après car quinze jours plus tard, c’était la catastrophe du Heysel (39 morts et 465 blessés à la suite d’un mouvement de foule dans le stade éponyme à Bruxelles le 29 mai 1985, NDLR). J’ai choisi cette date-là pour mettre en avant la fidélité stéphanoise car nous n’étions alors qu’en Division 2 ! Après l’âge d’or que connaît l’ASSE jusqu’au début des années 1980, l’affaire de la caisse noire éclate (des recettes non déclarées et reversées notamment aux joueurs afin de garder les meilleurs éléments, NDLR) et le club est rétrogradé en 1984. Il ne garde pratiquement que le gardien, Jean Castaneda, et recrute seulement un avant-centre exceptionnel, Roger Milla, ainsi que Didier Gilles. Le reste de l’effectif se compose presque uniquement de jeunes du centre de formation. Une fois encore, c’est cette politique et l’équilibre trouvé par l’entraîneur Henri Kasperczak qui va remettre l’ASSE sur les rails, avec une série de 26 matches sans défaite, plus de 46 000 spectateurs déjà au tour précédent contre Lens… L’ASSE refait la Une des journaux, avec des titres comme « Revoilà la fièvre verte ». Une défaite en barrages contre Rennes nous obligera toutefois à attendre un an de plus pour retrouver l’élite. »
20 mars 1999
Saint-Etienne renaît de ses cendres
« En battant Lille 3-2, les Verts prennent 18 points d’avance sur le 4e à huit journées de la fin. Autant dire que la remontée en Ligue 1 est quasiment acquise après trois ans de galère. Ce septième succès de rang intervient après celui acquis lors d’un match disputé au Stade de France contre le Red Star et qui reste encore le record d’affluence pour un match de Ligue 2 : 48 023 spectateurs ! Le club sort du néant après avoir failli disparaître. C’était très compliqué à la fois sur le plan financier et au niveau sportif : en 1997, on se sauve à la dernière minute avec un arrêt de Jérémie Janot ; la saison suivante, seules les contreperformances de nos adversaires directs lors de la dernière journée de championnat assurent notre maintien… Un trio exceptionnel se met alors en place : Alain Bompard, poussé par son fils, né à Saint-Etienne (Alexandre, PDG du groupe Carrefour, NDLR), reprend le club avec Robert Nouzaret comme entraîneur et Gérard Soler en tant que président délégué. Ce dernier a du “pif” et recrute des joueurs expérimentés. Kader Ferhaoui, nommé capitaine, Gilles Leclerc et Nestor Subiat rejoignent Jérôme Alonzo et des battants comme Patrick Guillou et Lionel Potillon. Deux jeunes du coin, Adrien Ponsard et Bertrand Fayolle, intègrent également l’effectif. La mayonnaise prend et l’équipe réalise une série de 21 matches sans défaite. Saint-Etienne renaît de ses cendres au fil d’une saison extraordinaire avec une ambiance fabuleuse, dans la foulée de la Coupe du monde 1998. Quelque chose de fort s’est créé et le public a répondu présent malgré les mauvais moments. »
20 avril 2013
Un nouveau trophée
« La Coupe de la Ligue (épreuve arrêtée en 2020, NDLR) n’a pas la notoriété et la splendeur d’une Coupe de France, mais c’est tout de même un trophée de plus dans l’histoire de l’AS Saint-Etienne. Ce titre, que l’on attendait quand même depuis 32 ans, vient couronner un cycle entamé avec le choix fort d’avoir nommé Christophe Galtier entraîneur fin 2009 dans une situation compliquée. Il a su tirer la quintessence de son équipe et concrétiser le rêve de voir monter 55 000 supporters stéphanois au Stade de France. Depuis sa construction en 1998, d’autres clubs moins huppés y avaient déjà disputé une finale de coupe, pas nous et c’était une anomalie qu’il fallait réparer. La journée du lendemain a été grandiose aussi, avec plus de 40 000 personnes dans la grand-rue de Saint-Etienne pour acclamer les joueurs et le staff. »
Propos recueillis par Franck Talluto
L’AS Saint-Etienne célèbre son 90e anniversaire avec la gratuité du musée des Verts lundi 26 juin. Un match pourrait aussi être organisé cet automne, dont la date reste à déterminer en fonction du calendrier de Ligue 2. Le club a également édité un livre, AS Saint-Étienne – 90 ans de Légende (35 euros, éditions Hugo Sport, préface de Jean-Michel Larqué), qui propose de revivre ces neuf décennies à travers « 224 pages de témoignages exclusifs signés de personnalités marquantes du club et d’une sélection iconographique inédite ». Dans un registre complémentaire, Franck Talluto, membre de la rédaction de Paysans de la Loire, a publié il y a quelques semaines Dessous de Verts, le livre (19 euros, éditions Héraclite, préface de Louis Laforge). Il s’agit d’une compilation de onze entretiens avec des joueurs de toutes époques de l’ASSE, d’Ivan Curkovic à Loïc Perrin en passant par Pascal Feindouno, Damien Bridonneau, Patrick Guillou, Fabien Lemoine ou encore Yvon Pouliquen. Ces deux ouvrages sont disponibles en librairie et sur internet.