SYNDICALISME
Au-delà du ring... une filière au bord du K-O

En préambule de la Fête du charolais à Roanne, la FDSEA et les JA de la Loire ont tenu à alerter le public sur la situation dramatique vécue actuellement par les éleveurs allaitants. Entre sécheresse, importations et agribashing, la filière semble sonnée et cherche une issue positive à ce combat déséquilibré.
Au-delà du ring... une filière au bord du K-O

Des génisses qui s'ébrouent dans un pré presque vert, comme une carte postale de la France rurale éternelle... Éternelle, vraiment ? Réunis à Mably, les responsables professionnels et syndicaux avaient convié la presse sur le champ, en l'occurrence celui de Bertrand Lapalus, éleveur reconnu sur le territoire. L'objectif, montrer l'envers du décor. Si les plus beaux animaux de la race vont défiler sur le ring pendant trois jours à Roanne, cela ne doit pas faire oublier la crise profonde vécue par la filière « particulièrement sur cette zone », entame Gérard Gallot, président de la FDSEA : « La sécheresse entraine le manque de fourrages et donc les difficultés économiques. » Le marché est atone et la loi Egalim n'a rien apporté pour l'instant en viande et à peine « 20 euros sur le lait ». Voilà planté le décor guère reluisant d'une agriculture régulièrement montrée du doigt par les médias et certaines associations.

« J'ai dû décapitaliser... »

L'hôte du jour, Bertrand Lapalus emmènera sept animaux au concours national ; « et tous seront à vendre, même les bonnes mères qu'en temps normal je garderais », avoue-t-il. « Certes, on verra l'élite ce week-end à Roanne, l'aboutissement de notre travail de sélectionneur, mais, derrière cette vitrine, il y a la réalité : des animaux nourris à la paille. En 18 mois, mon troupeau n'a passé que deux mois à l'herbe. J'ai fait 126 tonnes de foin soit un rendement de 2,6 tonnes/ha. C'est minable ! J'ai dû acheter 110 tonnes de paille contre 10 à 15 tonnes en année normale. »


Cette sécheresse qui s'éternise depuis deux ans fait craindre le pire pour l'avenir des prairies naturelles. « A quoi vont-elles ressembler au printemps prochain ? Les mottes d'herbe sont brulées », remarque le secrétaire général de la FDSEA, Jean-Luc Perrin. Et, au bout de la chaine, les animaux ne se vendent pas ou à un prix dérisoire, « entre 3,30 et 3,50 euros le kilo. C'est moins cher que ce que vendait mon père en 1984... », poursuit l'éleveur de Mably, combatif malgré la conjoncture.

 

Et de surenchérir : « Il y aussi ceux qui n'ont pas les moyens d'acheter de la paille et qui vendent les animaux... Moi-même j'ai choisi de décapitaliser. J'ai dix vaches de moins, mais ce n'est toujours pas suffisant. Il y a trois ans, j'avais une année de fourrages d'avance mais je l'ai utilisée pour pallier la sécheresse de l'an passé. Je pensais refaire les stocks cette année... Et puis les bêtes pèsent 20 à 40 kg de moins, c'est encore un manque à gagner. »

Société contradictoire

En écho à la campagne nationale « N'importons pas l'agriculture que nous ne voulons pas », les responsables professionnels ont condamné l'accord de libre d'échange avec le Canada (Ceta) et le projet (reporté ? abandonné ?) avec le Mercosur. Ils ont surtout mis l'accent sur les contradictions de la société. « On n'a jamais autant parlé de local et pourtant on n'a jamais autant importé », déplore Bertrand Lapalus, « notamment pour la restauration hors-foyer ». Et Gérard Gallot de signaler que l'on fait venir des produits de pays « qui utilisent OGM, farines animales ou pesticides interdits depuis longtemps en France. De la viande importée du Brésil, c'est la forêt amazonienne qui brûle ».


Et pourtant, l'agriculture française, dont le modèle a été considéré comme le plus durable par les experts, est critiquée, voire pire comme le prouve l'incendie des poulaillers dans l'Orne, par une frange de la population. « On nous demande de changer de modèle, mais de quel modèle parle-t-on ? s'insurge Gérard Gallot. L'agriculture n'a de cesse d'évoluer, d'améliorer ses pratiques sur l'usage d'antibiotiques, de pesticides. Les éleveurs s'appuient en partie sur des techniques issues de l'agriculture biologique. »


Bertrand Lapalus regrettait de son côté que « tout le monde parle d'agriculture, sauf les agriculteurs. Ils ne connaissent pas le métier mais nous disent comment élever nos animaux ». Les responsables professionnels comparent cet agribashing permanent, « sur les chaines publiques, sur les réseaux sociaux », à du harcèlement moral qui débouche parfois sur l'irréparable. Le président de Groupama Loire, Patrick Laot, espérait que le film avec Guillaume Canet Au nom de la terre, à l'affiche dès ce mercredi 25 septembre, serve d'électrochoc... Mais si la société sait s'émouvoir, elle sait aussi oublier rapidement.

Zola des champs

« Dans ces conditions comment susciter des vocations ? » s'inquiète Rémi Jousserand, président des JA 42. Dans le très allaitant département du Cantal, le nombre d'installations a déjà été divisé par deux. Raymond Vial n'y allait pas par quatre chemins : « C'est Germinal, c'est la déchéance. » Le président de la Chambre d'agriculture citait l'œuvre de Zola et espérait « un plan Marshall » pour sauver l'agriculture française « et du revenu » pour rémunérer le travail des agriculteurs. La théorie du grand remplacement, celle des prairies par les céréales, n'est plus une utopie.

 

Dans de nombreux départements, l'élevage allaitant recule au profit des grandes cultures. Ce phénomène pourrait-il toucher la Loire demain ? C'est ce que craint Raymond Vial : « Ce serait la fin des paysages agricoles, de la biodiversité, la disparation de la matière organique dans les sols. » Et au-delà de l'agriculture, un uppercut à la ruralité. « Derrière chaque agriculteur, il y a des emplois. Dans la Loire, l'agroalimentaire est le second fournisseur d'emplois. On va vider les campagnes, je vous le dis », s'inquiétait Raymond Vial. Une chose est sûre, les responsables professionnels ne vont pas baisser les bras. Ils sont prêts à remonter sur le ring du combat syndical pour défendre leur métier, leur vision de l'agriculture, du modèle familial. « L'automne sera chaud », promet Rémi Jousserand.

David Bessenay