Domaine Reniteo
La transmission, pas uniquement une affaire de famille
À 36 ans, David Michelis est installé à Ambierle comme vigneron, après avoir enchainé les postes à responsabilités dans le monde du spectacle vivant et de la culture. Une reconversion professionnelle motivée par des rencontres, dont celle d’Alain Baillon, cédant hors cadre familial qui souhaitait transmettre son exploitation viticole en vue de son départ à la retraite.
Originaire de la Loire par ses racines maternelles, David Michelis est issu d’une famille paysanne et notamment d’éleveurs laitiers installés sur le plateau du Pilat, à Saint-Genest-Malifaux. Passée son adolescence, il arrive à Lyon pour y suivre des études de musique, puis finalement devenir manager de production, confiant avoir « très vite compris être moins bon musicien qu’organisateur ». Pendant une quinzaine d’années, il fréquente de nombreux artistes et maisons lyonnaises de renom. En parallèle, il préside durant trois ans le syndicat des compagnies de création et est vice-président de l’agence Auvergne-Rhône-Alpes Spectacles vivants. « On peut faire un lien en disant que c’est le pendant des Chambres d’agriculture, c’est-à-dire un accompagnement généralisé de la filière sur des questions autour de l’entreprenariat, du juridique, etc. ». Par plaisir et par envie, il fait également le choix de suivre différentes formations en œnotourisme, puis de parfaire ses connaissances au fil de dégustations de vins, en France comme à l’étranger.
Regrettant un manque d’ancrage dans son métier, il fait le choix de démarrer un parcours de réorientation en 2015-2016. Il suit une formation continue en Bourgogne dans le but de devenir agent pour représenter des vignerons, tout en continuant son travail dans la culture. En juin 2018, son départ du monde du spectacle est entériné. Lorsqu’il achève sa formation par un stage longue durée dans un domaine viticole à Chavanay, David Michelis fait la rencontre d’Yves Cuiron. Un homme inspirant qui lui a permis « une découverte plus poussée du métier et m’a fait prendre conscience que la transformation du raisin était un acte d’artisanat très fort ». Celui-ci lui recommande grandement de ne pas faire de commerce mais du vin et l’introduit à des gens, dont Romain Paire (Domaine des Pothiers, NDLR) avec qui il se lie d’amitié et qui lui présente Alain Baillon, lui aussi vigneron.
Premiers échanges
« Je suis venu rencontrer Alain Baillon après lui avoir envoyé un mail. Le premier contact (en novembre 2019, NDLR) était plutôt très bon, il m’a présenté son projet de transmission en me disant qu’il arrivait au bout de sa carrière après 32 millésimes sur la Côte roannaise, qu’il avait vécu de très belles années et qu’il pensait qu’il était désormais l’heure de transmettre », raconte son successeur. Très rapidement, il apprend que le cédant s’était installé lui aussi, par le passé, hors cadre familial. « Cela lui tenait à cœur que son organisation ne soit pas démantelée puisqu’il avait réussi, au fil de sa carrière, à constituer un ensemble très cohérent. En plus, il ne vient pas d’une famille paysanne non plus. Il a été ouvrier viticole dans le Beaujolais avant de devenir son propre patron, puis vigneron à son tour », précise David Michelis.
Le trentenaire décrit le cédant comme un homme passionné, amoureux de son terroir et possédant une culture vraie du collectif. « Alain a été longtemps élu pour la communauté, il a œuvré au conseil municipal d’Ambierle et du Grand Roanne. On avait de bons échanges, même sans avoir les mêmes visions du vin. On a 30 ans d’écart et on n’a pas appris aux mêmes endroits et de la même manière. » Outre leur relation, notre homme tombe sous le charme du terroir de la Côte roannaise et particulièrement d’Ambierle et « son énergie très forte. On est dans un village de culture éminemment historique et je parle beaucoup de terroir culturel ici ». Ainsi, celui qui cherchait une exploitation à reprendre aux quatre coins de la France, a choisi de pousser ses instigations à Ambierle. Ces deux critères en tête, les discussions se poursuivent entre les deux hommes et les questions fusent : qu’est-ce qu’une transmission ? comment la faire ? quel en est le coût ? comment la financer ? par quel moyen Alain se voyait-il transmettre ?
Pour être accompagné dans ce processus, David Michelis s’en réfère à la Chambre d’agriculture de la Loire. S’il se montre satisfait de l’aide apportée sur le montage du dossier, il regrette néanmoins le manque d’expertise globale du pôle installation sur la question viticole, « parce que la Loire n’est pas considérée comme une terre viticole et qu’il n’y a pas de conseiller dédié. Malheureusement, je n’ai pas pu bénéficier d’aides de la conseillère agricole Loire sur les questions viticoles, chose qui se fait désormais ».
Retour sur expérience
« Au fil de discussions, j’ai l’impression que notre transmission est un vrai modèle d’une reprise en douceur, en ayant soulevé toutes les questions épineuses pourtant nécessaires, même si je pense ne pas avoir été vigilant sur des choses et que cela a créé des tensions », confie le vigneron. Assurant être toutefois en très bons termes et travaillant encore beaucoup ensemble, le jeune repreneur précise que le cédant n’est aujourd’hui plus du tout dans l’exploitation, mais apprécie grandement son conseil et sa disponibilité.
©Romain CHAMBODUT
Avec le recul, David Michelis se félicite, au même titre qu’Alain Baillon, de cette passation : « Je pense que l’on était deux personnes avec assez d’intelligence pour faire en sorte que cela se déroule bien. » Il apprécie la capacité d’adaptation de ce dernier, le décrivant par ailleurs comme quelqu’un de décidé sans pour autant être borné, mais aussi attentionné, ouvert. « Sa force aussi, en tant qu’élu, c’est sa capacité d’anticipation. Les choses étaient prêtes quand je suis arrivé, il y avait déjà une réflexion sur les parcelles qu’il voulait garder, etc. C’est extrêmement pratique, mais aussi exemplaire. »
En revanche, il note quelques difficultés, notamment financières : « Quand on n’hérite pas, il faut tout constituer et tout racheter. Même si on a fait correctement les choses, avec une vraie expertise du matériel, cela chiffre très vite et pose rapidement des questions de rentabilité de l’exploitation et de coûts de revient, mais aussi d’investissements. » Pourtant, bien que contraignante, cette partie ne l’a pas découragé, contrairement à deux épisodes passés : le gel du 7 avril 2021, alors qu’il était seulement installé depuis sept jours ; son opération de la hernie discale qui l’oblige à être en repos trois mois, en plein milieu de l’actuelle saison. Dernier point négatif, le peu de confiance accordé par les établissements bancaires à ce type de projets : « Il y a un vrai souci d’accompagnement. On est pris au sérieux, mais le process et les dogmes qui régissent la banque ne sont pas du tout dans les problématiques agricoles. »
Aujourd’hui, David Michelis est seul à la tête du domaine viticole qu’il a appelé Reniteo (voir encadré). Sa compagne, Clothilde, l’accompagne bénévolement très régulièrement. Il a également engagé Alexandre, salarié à plein temps devenu son bras droit, dont le contrat était déjà effectif auprès d’Alain Baillon, et Victor, salarié à mi-temps sur le domaine. « Au final, je suis entouré de personnes qui ne sont pas de simples exécutants, mais qui ont aussi une véritable réflexion, une vision et qui en plus, se trouvent être très complémentaires », précise le vigneron.
Avec le recul, il partage quelques conseils concernant une transmission hors cadre familial en bonne et due forme : « Il est important de bien tout écrire, poser sur le papier toutes les attentes du projet (qu’est-ce que l’on veut faire ? comment ? quelle échelle temporelle ? quel matériel ?). » Avant d’ajouter : « Il faut aussi bien réfléchir le modèle et ne pas hésiter à prendre le temps de le faire. Car une fois lancé, c’est trop tard. »
Axel Poulain
Quid du hors cadre familial
La transmission hors cadre familial renvoie, selon David Michelis, à « l’acte de passage d’un vigneron à un autre vigneron des terres et des vignes avec lesquelles il travaille et plus largement, du matériel et de tout ce qui forme une exploitation viticole. Mais avant tout des terres, car le cœur du projet, c’est le foncier. ». Avant d’ajouter : « Hors cadre, c’est sans héritage. L’adage « on n’hérite pas de la terre, on l’emprunte à ses enfants », c’est exactement cela. Ma famille n’avait rien à voir avec ce lieu, Alain non plus. Et pourtant, on est tous deux tombés amoureux de ce terroir, on l’a parcouru et travaillé hors cadre familial. Notre ADN familial n’est pas lié à la terre que l’on travaille. »
Le domaine Reniteo, aujourd’hui
Basé à Ambierle, le domaine Reniteo (issu d’une vieille expression latine qui veut dire « briller de nouveau », image poétique pour parler de « renaissance ») compte une superficie de 9 ha productifs, avec des sols en granits altérés, globalement très sableux et siliceux. Le type de viticulture que prône David Michelis, gérant des lieux, est conduite selon les règles de l’agriculture biologique qui repose sur certains des principes et recettes de la biodynamie, et qui utilise également beaucoup de phytothérapie agricole. Le domaine se veut exemplaire environnementalement parlant, comme l’atteste sa récompense au concours national Vignerons et terroirs d’avenir, projet qui a été porté sous le prisme de l’excellence environnementale. Enfin, en matière de vins, il propose 95 % de gamay saint-romain, un peu de chardonnay et dès l’an prochain, des serines (vieilles variétés massales de syrah), ainsi que des chenins (cépages blancs).