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Portrait

Vincent et Romain Rossignol, le miel dans le sang

Reconverti du monde du textile, Vincent Rossignol est apiculteur depuis 2008. Les portes de la Miellerie des Monts de la Madeleine (Saint-Just-la-Pendue) ont ouvert il y a presque 20 ans. Aujourd’hui, malgré les aléas, l’aventure continue et le père a été rejoint par son fils Romain, tombé dans les fûts de miel quand il était petit. 

Par Alexandra Blanchard-Pacrot 
Vincent et Romain Rossignol, le miel dans le sang
Vincent et Romain Rossignol ont monté le Gaec des Monts de la Madeleine en avril 2023. ©ABP

Pour trouver la Miellerie des Monts de la Madeleine, il faut quitter les grands axes et s’enfoncer dans les collines du nord de la Loire. Passé le village de Saint-Just-la-Pendue, il ne faut pas manquer l’intersection qui conduit les visiteurs et amateurs de miel dans ce petit écrin des monts du Forez. Mais la patience est largement récompensée par l’accueil que réserve Vincent Rossignol, apiculteur qui s’est reconverti il y a presque vingt ans. « J’ai fait un BTS Productique textile, option bonneterie au lycée Carnot de Roanne », raconte-t-il en réajustant ses lunettes. En 1992, il obtient son diplôme et part travailler quelques années à Paris pour une entreprise de machines à tricoter industrielle. 

Las, l’air roannais lui manque. En 1996, il décide d’y revenir et trouve du travail dans une bonneterie où il entretient et programme des machines à tricoter pour des stylistes. Une aventure menée de front avec l’achat d’une maison où une ruche est déjà en place. « Je cherchais alors à changer de boulot, poursuit-il, un sourire éclairant son visage à l’évocation de ces souvenirs. Je me questionnais, me demandais ce qui m’intéressait et j’ai eu l’idée de réfléchir à un projet autour du miel. »

« C’était décidé : j’arrêtais l’usine pour me lancer à fond »

Bien lui en a pris et ni une ni deux, il s’inscrit dans une formation BP REA (Brevet professionnel de Responsable d’entreprise agricole) qu’il mène entre 2007 et 2008. Les deux années qui suivent, Vincent Rossignol devient double actif, cumulant son emploi dans le monde du textile et sa passion pour les abeilles. « Je travaillais auprès des ruches les week-end et pendant les vacances », se souvient-il. En 2010, il choisit de sauter le pas. « C’était décidé : j’arrêtais l’usine pour me lancer à fond. » Une décision qu’il n’hésiterait pas à reprendre aujourd’hui malgré les difficultés que rencontre la filière apicole. 


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D’autant qu’avec les années, ce qui était alors un projet de vie est devenu une vocation familiale. Romain Rossignol, fils de Vincent, est tombé dans les fûts de miel alors qu’il était encore enfant. Une passion qui ne l’a jamais quitté. Aujourd’hui titulaire d’un bac pro Gestion des milieux naturels et de la faune qu’il a passé au lycée de Noirétable, le jeune homme s’est installé en Gaec avec son père en avril 2023. A l’époque, l’entreprise comptait 450 ruches. Un nombre porté à 600 grâce à son arrivée. « Dès le début, c’était mon objectif », relate le jeune homme avec un éclat pétillant dans ses yeux, qui a malgré tout fait le choix de travailler au sein de la fromagerie de Saint-Just-en-Chevalet quelque temps avant de rejoindre les ruches familiales. « Gamin, je suivais mon père dans le Midi », se remémore-t-il. Aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours aimé le contact avec les abeilles : « J’ai accroché direct », s’amuse-t-il. 

La passion…

Père et fils travaillent main dans la main depuis plus d’un an. Une collaboration facilitée par leur complicité, visible au premier coup d’œil, mais qui impacte inéluctablement leur vie de famille. « C’est sûr, on parle tout le temps de boulot, même à table… » reconnaît Romain, immédiatement contré par son père, qui tient à apporter une nuance importante : « Sauf quand on regarde le rugby ! » Éclat de rire général, puis Vincent reprend, plus sérieux : « Heureusement que ma femme est là pour faire parfois le chef d’orchestre et nous rappeler à l’ordre. »

Si le binôme s’accorde à dire que c’est une chance de travailler ensemble, ni l’un ni l’autre ne cache des discussions où des périodes plus tendues. « Pendant les coups durs, c’est un avantage que de très bien se connaître : quand l’un va moins bien, l’autre peut reprendre et porter le flambeau », analysent-ils d’une même voix. Pour eux, le secret de cette bonne entente réside dans les échanges constants : « On parle et on rit beaucoup. » Père et fils prennent aussi sur eux de temps en temps et aucun des deux n’oublie qu’une soupape de décompression est essentielle à la poursuite de leur activité. 


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S’ils ont parfois du mal à décrocher, la miellerie, installée juste au pied de la cour de la maison familiale, ne facilite pas les choses. « Il y a toujours quelque chose à préparer », admet Vincent. Il n’est pas rare que le père ou le fils y fassent un tour avant d’aller se coucher. « Même si ce n’est pas facile, on essaie de lever le pied pendant la hors saison. » Une affirmation contredite par la moue dubitative du fils… 

Accueillir Romain au sein des ruches n’a pas été difficile pour son père, qui lui fait « confiance à 100 % ». D’autant que son arrivée a permis à la miellerie de développer un atelier de gelée royale afin de répondre à une demande de plus en plus importante de la part des clients. « C’est un petit atelier, contraignant pendant six semaines », détaille le jeune homme qui s’y astreint deux demi-journées par semaine lors de la période qui « tombe bien évidemment pendant la haute saison de production de miel », plaisante Vincent. Un produit que les associés ne commercialisent qu’en vente directe. 

… l’organisation…

Si le printemps et l’été correspondent aux grosses périodes de production, la saison commence dès l’automne avec les traitements contre le varroa, un parasite capable de détruire les ruches, et, si besoin, le nourrissage des ruches, dont la moitié passe l’hiver dans le Gard. « Si on s’occupe bien des abeilles à l’automne, on aura des essaims au printemps, raisonne l’agriculteur. Et ce, même si en apiculture, on n’est jamais sûr de rien. »

Fasciné par ses abeilles, Vincent Rossignol souligne leur incroyable capacité d’adaptation, à double tranchant : « Ça peut être en négatif ou en positif… » Début mars, les apiculteurs descendent régulièrement dans le Midi où ils constituent leurs essaims avant de les remonter quatre semaines plus tard. En parallèle, Vincent et Romain élèvent des reines. « On fait une sélection pour avoir des reines douces, productives et résistantes. » Ce premier mois où l’activité se fait plus soutenue est en règle générale « bien organisé. Après, on gère au jour le jour, et surtout les urgences », assure le fils. 

Une fois les ruches du Midi remontées, les apiculteurs s’occupent de celles restées dans la Loire, dont la production débute un peu plus tard. Une stratégie qui leur permet d’étirer un peu la saison et de produire différents miels : pissenlit, châtaignier, fleurs multiples, lavande, acacia et sapin. En raison du réchauffement climatique et des aléas de la météo, ces deux derniers sont plus difficiles à récolter. « Quand on peut en faire, on mobilise toutes nos ruches, car on ne sait pas si on pourra en avoir l’année suivante », précise Vincent Rossignol.

Leur miel de sapin a d’ailleurs été récompensé d’une médaille d’or lors du Concours général agricole 2024 organisé lors du Salon de l’agriculture et leur miel polyfloral clair rafle l’argent en 2025.

L’extraction se fait ensuite à la miellerie et le miel est stocké dans des fûts. Il n’est mis en pot qu’en fonction de la demande. « Si on conditionnait  tout de suite, ça nous rajouterait beaucoup de travail pendant la grosse saison alors que le miel est plutôt un produit d’automne/hiver », assure l’apiculteur qui commercialise son miel en direct, sur les marchés de Noël, les foires mais aussi en demi-gros à des magasins. « On essaie de vendre de plus en plus chez nous, la marge est plus importante. » Dans un contexte de crise de filière apicole, ce n’est pas négligeable. 

… et la colère 

Vincent et Romain n’ont pas de mots assez durs pour décrire la concurrence déloyale à laquelle ils sont confrontés. Ils en dénoncent deux sortes : celle de l’importation, avec des miels qui ne répondent pas aux exigences françaises et celle faite par les apiculteurs hexagonaux eux-mêmes. « Comme ça coûte moins cher d’importer son miel que de le produire, certains l’achètent à l’étranger et l’étiquette en France ! » s’emportent-ils. Des pratiques que Vincent a vu arriver avec les années : il assure qu’elles n’existaient pas il y a encore une décennie et déplore des contrôles insuffisants. « Quand je me suis installé, les magasins me téléphonaient, ils voulaient des producteurs locaux. Les fûts partaient très bien et certaines années, ça ne valait pas le coup de mettre le miel en pot », se rappelle-t-il. 


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S’ils espèrent toujours être apiculteurs dans vingt ans, il n’est pas facile de se projeter si loin. « Des aléas se greffent en permanence : les invasifs sont de plus en plus présents, le réchauffement climatique s’intensifie, les forêts ne sont pas toujours bien gérées… » Une vraie problématique pour la production de miel de sapin notamment. « Chaque année, on nous enlève des hectares de forêt pectinée pour les remplacer par du douglas », dénoncent-ils.

Or, les miellées de sapin sont capitales pour les abeilles puisqu’elles leur permettent de bien passer l’hiver, évitant aux apiculteurs de devoir les nourrir. « Le métier va changer, prédit Vincent Rossignol. Être apiculteur, c’est devoir s’adapter de plus en plus vite. » Silencieux aux côtés de son père, Romain approuve. Sans cette dure réalité ne douche son enthousiasme.